Stress Hydrique : Le dessalement comme planche de salut

Zineb Jazouli
C’est désormais une réalité : le Maroc peine à résoudre sa crise de l’eau. Dans une analyse minutieuse, la nouvelle plateforme d’actualités économiques desservant la région MENA, Arabian Gulf Business Insight (AGBI), passe au peigne fin cette problématique épineuse. Analysant les projets en cours, ce site spécialisé basé à Londres met en avant le potentiel des stations de dessalement d’eau et braque les projecteurs sur les lacunes qui entravent la résolution de cette crise.
Une usine de dessalement d’eau de mer, inaugurée le mois dernier à Sidi Rahal, près de Casablanca, joue un rôle crucial dans les plans du Maroc pour contrer la réduction alarmante des réserves d’eau du pays. Conçue pour être construite en deux phases, l’usine vise une production annuelle de 300 millions de mètres cubes d’eau pour desservir 7,5 millions de personnes, selon les promoteurs.
Il s’agit du plus grand projet de ce type en Afrique, développé dans le cadre d’un partenariat public-privé par Acciona d’Espagne, en collaboration avec Afriquia Gaz et Green of Africa, toutes deux filiales du groupe Akwa. Le ministre marocain de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, a précisé que “l’objectif est d’implanter des usines de dessalement tout au long du littoral marocain pour fournir 1,4 milliard de mètres cubes d’eau”.
Dans un pays en développement confronté aux impacts tangibles du changement climatique, concilier exportations agricoles et diminution des ressources en eau est un défi de taille, selon les spécialistes. Cette année, les montagnes de l’Atlas sont presque dépourvues de neige, les rivières sont asséchées, et les palmeraies autrefois luxuriantes sont désormais remplies de souches de palmiers morts ou mourants.
Face à cette situation alarmante, le Maroc ne ménage aucun effort. Les investissements du Royaume dans les énergies solaire et éolienne portent leurs fruits, plaçant le pays parmi les plus performants en matière de lutte contre le changement climatique en Afrique, surpassant même des nations comme les États-Unis et la France. Cependant, la gestion de l’eau est devenue une priorité pressante.
En effet, la problématique est protéiforme et impacte plusieurs secteurs cruciaux. “L’approvisionnement en eau potable pour une population croissante est l’un des objectifs principaux. L’agriculture, l’épine dorsale de l’économie nationale marocaine, consomme la majorité de l’eau disponible, et a été durement affectée par l’épuisement des nappes phréatiques et une sécheresse implacable qui persiste depuis six ans”, rapporte-t-on.
Le portail spécialisé indique : « Le Maroc, l’un des pays les plus vulnérables au climat dans le monde, fait face à une grave pénurie d’eau. En 2022, l’agriculture représentait 10 % du PIB du pays, selon la Banque mondiale, tandis que les chiffres les plus récents de l’Administration américaine du commerce international la placent à 15 % en 2024, fournissant des emplois à 45 % de la main-d’œuvre marocaine ».
Les exportations agricoles marocaines, soutenues par des accès sans droits de douane à l’UE et aux États-Unis, connaissent un succès notable. EastFruit, une plateforme d’information pour le secteur des fruits et légumes, a rapporté qu’au “premier trimestre 2024, le Maroc a expédié 266.000 tonnes de tomates de serre, soit une augmentation de 10 % par rapport à la même période en 2023 et 9 % au-dessus de la moyenne quinquennale”.
Citée par AGBI, Fatima Ezzahra Mengoub, économiste agricole au Policy Center for the New South (PCNS), se montre optimiste quant aux initiatives du gouvernement, soulignant que “celles-ci ont favorisé le développement de cultures d’exportation à haute valeur ajoutée et créé plus de 1,5 million d’emplois dans l’agriculture”. Cependant, l’herbe n’est pas toujours plus verte de l’autre côté, la spécialiste avertit que “le changement climatique menace la durabilité à long terme des approvisionnements en eau, entraînant potentiellement une variabilité accrue des précipitations, des sécheresses plus fréquentes et des phénomènes météorologiques extrêmes”.
Pour soutenir la croissance des exportations, le gouvernement marocain met l’accent sur l’amélioration de l’efficacité de l’utilisation de l’eau en agriculture. Une étude du Global Water Security and Sanitation Partnership a évalué la consommation et la productivité de l’eau. L’extension de l’irrigation goutte à goutte est l’un des principaux objectifs du Programme national marocain d’économies d’eau dans l’irrigation, visant à moderniser l’irrigation sur 550.000 hectares de terres agricoles.
Ces projets attirent des investissements privés. L’année dernière, Metito Utilities et Tahliya Group des Émirats arabes unis ont signé un accord pour développer un projet d’irrigation utilisant de l’eau dessalée alimentée par des énergies renouvelables. L’irrigation goutte à goutte, qui fournit jusqu’à 90 % de l’eau directement aux plantes contre 50 à 60 % pour l’irrigation conventionnelle, représente une bonne nouvelle pour les agriculteurs.
Cependant, toujours d’après la même source, Chris Perry, co-auteur de “The Paradox of Irrigation Efficiency« , publié en 2018, souligne que “l’efficacité accrue ne réduit que rarement la consommation d’eau”. Pour lui, “l’introduction de l’irrigation goutte à goutte nécessite de contrôler la quantité d’eau allouée aux agriculteurs”, car cette méthode ne restitue que 10 % de l’eau aux sources locales, contre 40 à 50 % pour les autres systèmes, ce qui peut accélérer l’épuisement des ressources en eau.
“Paradoxalement, pour préserver l’eau, il pourrait être nécessaire de réduire les allocations d’eau aux agriculteurs afin d’améliorer l’efficacité globale de l’irrigation”, conclut la plateforme économique.