Projet de loi sur le droit de grève : son contexte, ses objectifs, son évolution et les amendements validés
Depuis son avènement, le gouvernement actuel s’est attelé à institutionnaliser le dialogue social, à travers notamment la signature de la Charte nationale du dialogue social. Dans ce cadre, il a favorisé la signature de deux accords sociaux historiques. Ces accords incluent, parmi leurs engagements, la mise en œuvre de la loi organique relative aux conditions et modalités d’exercice du droit de grève.

LE MATIN
Alors que la fronde contre le projet de loi organique n°97.15 définissant les conditions et modalités d’exercice du droit de grève ne cesse de monter – une marche nationale de protestation a eu lieu hier à Rabat –, il serait opportun de revenir sur le parcours législatif de ce texte, ses nouveautés, les amendements validés et le contexte politique et constitutionnel de son élaboration.
Contexte politique et constitutionnel
Le processus législatif visant la réglementation de l’exercice du droit de grève s’inscrit dans le cadre du parachèvement de l’édifice constitutionnel marocain, qui a consacré, dès la première Constitution du Royaume en 1962, et dans toutes les Constitutions suivantes, y compris celle de 2011, la garantie de l’exercice de ce droit. Le projet de loi organique n°97.15 ambitionne donc de renforcer l’expérience démocratique marocaine et consolider les bases de l’État de droit.
Le projet de loi organique définissant les conditions et les modalités d’exercice du droit de grève fera l’objet d’amendements supplémentaires à la Chambre des conseillers, a affirmé, lundi à Rabat, le ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri.
Ce texte vise également à consacrer l’État social, comme horizon politique et social prôné par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et que le gouvernement s’engage à concrétiser. L’enjeu par ailleurs est d’améliorer l’environnement d’investissement en instaurant un climat social de confiance de nature à favoriser le développement économique et social. Cet enjeu est d’autant plus important que le Maroc se prépare à des échéances nationales et internationales majeures, nécessitant un cadre institutionnel solide et fiable. En instaurant un cadre équilibré pour l’exercice du droit de grève, ce projet de loi organique renforcera la justice sociale ainsi que les droits et libertés de toutes les parties prenantes. Car l’adoption de ce projet contribuera également à établir un modèle politique et social unique, conciliant entre les exigences de la démocratie représentative et l’approche participative nécessaire à l’édification démocratique.
Depuis 2016, pour diverses raisons, la discussion de ce projet de loi a été impossible. En effet, en l’absence d’un dialogue social institutionnalisé et faute d’une d’implication réelle des partenaires sociaux dans la préparation du texte avant son dépôt au Parlement, il était difficile d’enclencher le processus législatif relatif à ce chantier.
Définition des principes fondamentaux et démarrage du processus législatif
L’accord social du 29 avril 2024, qui visait à exécuter les engagements restants de l’accord social du 30 avril 2022, a prévu la programmation de la discussion de ce projet de loi et son adoption au cours de la session parlementaire du printemps 2024. Cet accord a également défini les principes fondamentaux de cette loi organique, notamment :
• Assurer la conformité du projet de loi organique avec les dispositions de la Constitution et les conventions internationales relatives à l’exercice du droit de grève.
• Encadrer l’exercice du droit de grève dans les secteurs public et privé, en veillant à l’équilibre entre ce droit constitutionnel et la liberté de travail.
• Préciser les différents concepts liés à l’exercice du droit de grève.
• Réguler les services qui, en raison de leur nature et de leur caractère vital, nécessitent la mise en place d’un service minimum pendant la durée de la grève.
• Renforcer les mécanismes de dialogue, de conciliation et de négociation pour résoudre les conflits collectifs du travail.
Des consultations menées suivant une approche participative
Après l’avis du Conseil économique, social et environnemental et du mémorandum du Conseil national des droits de l’Homme, suite à une saisine du président de la Chambre des représentants, une discussion détaillée des dispositions du projet a eu lieu le 31 octobre 2024. Le 3 décembre 2024, la Commission des secteurs sociaux a adopté à la majorité le projet de loi organique, après des discussions longues de plus de 17 heures. La première phase au sein de la Chambre des représentants s’est conclue par une session plénière consacrée à la discussion et au vote du projet de loi organique n°97.15 dans son ensemble, le 24 décembre 2024.
Selon le gouvernement, le texte a connu des amendements substantiels
Parmi les principales nouveautés du projet de loi organique approuvé par la Chambre des représentants, on peut citer :
- L’élargissement des catégories concernées par l’exercice du droit de grève aux professionnels, aux travailleurs indépendants et travailleurs non salariés (TNS), travailleurs domestiques, mineurs, marins, concierges, journalistes et autres catégories spécifiques de travailleurs.
- Une révision de la définition de la grève, incluant l’expression «arrêt total ou partiel du travail» et supprimant l’expression «de manière planifiée».
- La modification de la définition du secteur public pour inclure «les services publics relevant de l’État, des collectivités territoriales, des personnes morales de droit public qui leur sont rattachées, ainsi que des établissements publics n’ayant pas un caractère industriel ou commercial, ainsi que toute personne morale de droit public».
- L’ajout d’une définition du secteur privé comme étant «les personnes physiques ou morales, autres que celles mentionnées dans la définition du secteur public, qui entretiennent une relation de travail avec leurs employés».
- La suppression des interdictions de grèves à caractère politique ou alternées.
- L’élargissement des entités habilitées à appeler à la grève, y compris les syndicats représentatifs dans les services publics.
- L’octroi à un certain nombre de salariés du secteur privé du droit d’appeler à une grève via un comité de grève, avec des conditions assouplies pour la prise de décision.
- La suppression de la procédure de réquisition.
- La suppression des sanctions privatives de liberté et du renvoi à des sanctions pénales plus sévères.
- L’harmonisation de la structure du texte, la cohérence des articles et la précision des termes employés.