Mercosur : Pourquoi Emmanuel Macron et Michel Barnier s’agitent autant (et le font savoir) sur ce traité
Le Huffpost
Alors que la colère monte chez les agriculteurs, le couple exécutif multiplie les déclarations et initiatives politiques pour torpiller cet accord de libre-échange.
Anthony Berthelier

POLITIQUE – Les Gaulois réfractaires. Cinq ans après avoir utilisé ce sobriquet pour qualifier le peuple français lors d’une visite en Finlande, le président de la République endosse parfaitement son costume de chef des rétifs sur le traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays sud-américains du Mercosur.
Depuis plusieurs jours, Emmanuel Macron et son Premier ministre multiplient effectivement les signes de défiance à l’égard de ce texte commercial négocié de longue date. Avec un mot d’ordre : la France ne signera pas l’accord « en l’état. » Le président de la République a encore expliqué, mardi, depuis le Brésil que le texte « repose sur des préalables caducs » et que Paris continue de s’y « opposer. » Preuve de cette envie irrépressible de communiquer, Emmanuel Macron a doublé sa déclaration d’un tweet à travers lequel il répète son opposition au texte.
Dans la foulée, c’est l’entourage de Michel Barnier qui annonçait à la presse accéder à une demande tenace des oppositions : débattre de l’accord au Parlement avant de le soumettre au vote de la représentation nationale. Initialement prévue pour le 10 décembre, la grand-messe a été avancée au 26 novembre. Mais pourquoi une telle agitation maintenant, en plein débat budgétaire, sur un texte négocié depuis 20 ans ?
Colère agricole et money time
Premières raisons simples : le calendrier de la Commission européenne et le contexte social éruptif en France. Les défenseurs de l’accord, parmi lesquels l’Allemagne ou l’Espagne par exemple, espèrent une issue rapide avec une signature avant la fin de l’année. Une accélération qui met les opinions publiques européennes en ébullition.
Car si l’accord est en principe soutenu par la quasi-totalité des pays européens, c’en est autrement dans les populations. Ainsi, la colère monte de nouveau dans les campagnes françaises, avec de premières manifestations un peu partout, mais également dans d’autres pays du vieux continent. En clair, les éleveurs et céréaliers craignent d’être sacrifiés par un accord qui prévoit l’importation de quelque 300 000 tonnes de viandes et autres denrées en contrepartie d’une exportation plus simple en Amérique du Sud de produits issus de l’industrie européenne.
Dans ce contexte, le couple exécutif français a clairement choisi son camp, celui des paysans. Ou du moins celui des 82 % des Français qui soutiennent leur mobilisation. Mais pouvait-il en être autrement, un an après le déclenchement de la crise agricole, ses blocages inédits, et ses réponses coûteuses ? Et à l’heure où l’ensemble de la classe politique présente une rare unanimité, de l’extrême droite aux écologistes, contre le traité ?
Sujets de cœur pour le couple exécutif
En réalité, le couple exécutif n’a pas le loisir d’échouer sur le Mercosur. D’où cette agitation palpable à deux visées : montrer à l’opinion publique que le gouvernement protège les intérêts des campagnes françaises et demeure à l’écoute des agriculteurs en colère. Et, en même temps, mettre la pression sur les dirigeants européens alors que les négociations sont dans le « money time. »
Il faut dire aussi que le Mercosur, en plus de comporter des enjeux éminemment politiques, touche à des sujets de cœur pour Emmanuel Macron et Michel Barnier. Le premier s’est engagé à « make our planet great again » dès les premiers mois de son mandat, soit la revendication de la défense climatique visant à prendre le contre-pied de Donald Trump. Il défend depuis une souveraineté européenne renforcée, un commerce mondial apaisé et une forme de multilatéralisme renouvelé.
Dès lors, il paraît bien délicat pour le chef de l’État de soutenir un traité qui contrevient – a priori en tout cas – à toutes les orientations qu’il a essayé de soutenir sept ans durant. L’accord Mercosur est effectivement décrié pour son coût environnemental et sanitaire, mais également pour la concurrence déloyale à laquelle il soumettrait les agriculteurs européens, lesquels exercent avec des normes bien plus restrictives. Pas simple à assumer. En outre, et alors que le pays a traversé une crise politique provoquée par ses soins, Emmanuel Macron a l’occasion à travers l’opposition à ce traité de se réconcilier avec les Français, lesquels sont toujours moins nombreux à le soutenir. Utile lorsqu’on se souvient que le président de la République a perdu la main sur la politique nationale.
Dans le même esprit, le Savoyard Michel Barnier ne rate pas une occasion de souligner son attachement aux « territoires ». Et de rappeler à ceux qui ne le savent toujours pas, qu’il a, jadis, occupé le poste de ministre de l’Agriculture (et de la Pêche) sous l’égide de Jacques Chirac avant d’occuper les plus hautes fonctions européennes, dont celle de négociateur en chef durant le Brexit. Impossible donc, avec un tel CV et une cette ambition revendiquée, de ne pas se pencher sur ce traité de libre-échange – et d’essayer de le torpiller. Mais pour quels résultats ?
Agitation, reflet de l’impuissance ?
C’est là toute la question, et une partie de la réponse quant à cette agitation tous azimuts. Car derrière les déclarations médiatiques offensives et les initiatives politiques audacieuses (comme le vote annoncé au Parlement) du couple exécutif, la France n’a pas le pouvoir, seule, de bloquer l’accord sur le Mercosur.
Concrètement, la commission s’interroge encore sur le mode d’adoption du texte, entre un vote à l’unanimité et un vote à la majorité. Si la première option est retenue, la France pourra se faire entendre. Si la seconde est choisie, Emmanuel Macron va devoir trouver des alliés au sein de l’Union européenne pour réunir une « minorité de blocage » et empêcher ainsi les partisans de l’accord d’atteindre les 65 % de la population de l’UE.
De quoi enterrer les dernières chances de Paris d’obtenir gain de cause ? Pas forcément. Il est intéressant de noter que certaines lignes sont en train de bouger, notamment en Italie, où le ministre de l’Agriculture, un proche de Giorgia Meloni, dit désormais refuser la signature de l’accord de libre-échange. Enfin, si les différents leviers échouent, certains vont jusqu’à imaginer la carte du chantage. Le député de droite Julien Dive, bon connaisseur des enjeux agricoles, propose ainsi à Emmanuel Macron de menacer l’existence du Ceta (un traité de libre-échange avec le Canada) si la France n’est pas écoutée dans ses mises en garde sur l’accord Mercosur. Pour cela, une mue présidentielle semble nécessaire, de gaulois réfractaire à combattant acharné.