June 8, 2025

L’Europe peut-elle sauver ses véhicules électriques ?

Le plan d’action de la Commission pour sauver l’automobile européenne sera-t-il suffisant ? Bruxelles opte pour le protectionnisme et l’innovation face à la domination chinoise.

Emmanuel Berretta du Le Point

Montage à la chaîne des voitures électriques Renault R5 et Alpine A290, à l'Usine Renault de Lambres lez Douai.

Montage à la chaîne des voitures électriques Renault R5 et Alpine A290, à l’Usine Renault de Lambres lez Douai.

Le bilan 2024 de l’industrie automobile conforte les craintes des constructeurs européens. Selon le rapport économique de l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles), la photographie du secteur montre un géant au milieu de la pièce : la Chine a produit 35,4 % des véhicules mondiaux et vendu près de 23 millions d’unités sur un total mondial de 74,6 millions de ventes. Un rouleau compresseur qui inquiète légitimement les constructeurs européens. Sur le marché continental, les constructeurs chinois ont déjà conquis 17,2 % des importations en valeur, une progression qui semble imparable.

Pendant ce temps, la production automobile de l’UE a chuté de 6,2 % en 2024, alors que la confiance de l’industrie reste nettement plus faible que dans les autres secteurs manufacturiers européens. La Chine a connu, quant à elle, une augmentation de 5,2 % de sa production.

Les ventes de voitures électriques en baisse

En Europe, les ventes de véhicules électriques ont reculé de 5,6 % entre 2023 et 2024, un signal d’alarme qui ne trompe pas. Face à la concurrence asiatique, et particulièrement chinoise, l’Europe a donc réagi par un plan d’action, le 5 mars dernier.

« La flexibilité proposée pour atteindre les objectifs de CO2 dans les années à venir constitue un premier pas bienvenu vers une approche plus pragmatique de la décarbonation, dictée par les réalités du marché et géopolitiques. Elle promet un répit aux constructeurs automobiles et de fourgonnettes, à condition que les mesures indispensables en matière de demande et d’infrastructures de recharge soient désormais effectives », a déclaré Sigrid de Vries, directrice générale de l’Association des constructeurs européens d’automobiles.

La menace des tarifs de Trump

D’un côté le géant chinois, de l’autre, la menace Trump. Le président américain agite régulièrement le spectre de taxes douanières punitives contre les constructeurs européens. Les exportations européennes vers les États-Unis ont déjà chuté de 4,6 % en 2024. Un marché qui reste pourtant crucial, représentant près d’un quart des exportations de véhicules européens. Les voyants du tableau de bord s’allument même si, pour le moment, le secteur automobile enregistre encore un excédent commercial de 81 milliards d’euros en 2024, toutefois en baisse de 5,9 % par rapport à 2023.

Le volet le plus radical du plan de la Commission européenne concerne les investissements étrangers. La Commission européenne propose une stratégie inédite de protection économique, rompant avec des décennies d’ouverture inconditionnelle aux capitaux étrangers. Un protectionnisme assumé qui vise à relocaliser une partie de la chaîne de production, actuellement dominée par les acteurs asiatiques. Ces nouvelles règles prévoient des transferts de technologie obligatoires, des engagements contraignants sur l’emploi local, et des garanties précises d’approvisionnement en composants critiques. La Commission n’a pas le pouvoir d’imposer des transferts de technologie ; elle propose seulement aux Etats membres de le faire.

Véhicules autonomes : trois zones tests en 2026

La menace chinoise, avec sa stratégie d’expansion agressive dans l’industrie automobile européenne, a définitivement fait bouger les lignes. Ce protectionnisme assumé marque une inflexion majeure dans la politique industrielle européenne, transformant la défense économique en instrument de souveraineté technologique.

Par ailleurs, Bruxelles admet le retard européen en matière de véhicules autonomes. Le plan prévoit la création d’au moins trois zones transfrontalières d’essais dès 2026. Un objectif a minima quand on sait que des flottes de robots-taxis circulent déjà, depuis juin 2024 à San Francisco, et Shanghai depuis août 2024.

Un coup de « boost » à la stratégie batterie

Pour rattraper ce retard, la Commission lance de suite une « Alliance européenne pour les véhicules connectés et autonomes ». Cette alliance est censée aider à la mutualisation des efforts des constructeurs pour développer des plateformes logicielles communes. Les rivalités entre constructeurs devront être surmontées.

Deuxième aspect de plan : un coup de pouce aux batteries sous la forme d’un chèque de trois milliards d’euros issus du Fonds d’innovation pour soutenir la fabrication de batteries. La Commission envisage même un « soutien direct à la production ». Nouveauté notable : des « exigences de contenu européen » seront introduites pour les batteries. Un protectionnisme assumé qui tranche avec la doxa libre-échangiste habituelle de Bruxelles.

Face à la bronca des producteurs automobiles, la Commission a proposé un assouplissement temporaire des normes d’émissions. Les constructeurs qui dépasseraient les objectifs fixés pour 2025 pourront compenser en 2026 ou 2027. En coulisses, on parle déjà d’un possible adoucissement des objectifs pour 2035. La porte est entrouverte à un assouplissement des contraintes environnementales.

Poids lourds, le secteur réclame une révision des normes CO2

Derrière ces stratégies industrielles, il y a des femmes et des hommes. L’industrie automobile représente 13 millions d’emplois directs et indirects en Europe. La transition vers l’électrique risque de bouleverser ces équilibres, avec des métiers amenés à disparaître. L’Europe ne part pas battue. Avec un PIB automobile de 1 000 milliards d’euros, elle dispose encore de nombreux atouts. Des marques de prestige, un tissu industriel dense, une expertise technologique reconnue. Mais le temps presse. Ce plan industriel est sans doute la dernière chance de réinventer une filière automobile européenne compétitive à l’échelle mondiale.