June 8, 2025

Les startups en première ligne pour une Intelligence artificielle «Made in Morocco»

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L’intelligence artificielle est en passe de redessiner l’économie mondiale, et le Maroc ne fait pas exception. Avec une ambition affichée de devenir un hub technologique en Afrique, le Royaume tente de structurer un écosystème propice au développement de l’IA. Mais où en est réellement le pays ? Les startups marocaines peuvent-elles être des moteurs d’innovation et de croissance ? L’IA «Made in Morocco» est-elle un objectif réalisable ou une ambition hors de portée ?

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Souad Badri

Le Maroc a pris conscience de l’importance de l’intelligence artificielle (IA) et a lancé plusieurs initiatives pour structurer son écosystème. Parmi elles, le programme Maroc Digital 2030, qui vise à positionner le pays comme un acteur clé de l’innovation numérique. Avec un budget de 1,1 milliard de dollars, ce programme prévoit de renforcer les infrastructures numériques, d’attirer des investissements étrangers et de soutenir les startups technologiques.

Dans l’émission «L’Info en Face», Nasser Kettani, entrepreneur et expert en technologies, a partagé son analyse sur ces enjeux cruciaux. «L’IA ne se développe pas par magie. Il faut du capital humain qualifié, des infrastructures solides et un financement conséquent», affirme-t-il.

Par ailleurs, l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), via son initiative «AI Movement», est devenue un centre régional de référence en IA, soutenu par l’Unesco. «Nous avons des talents et des institutions de qualité. Mais il faut passer à l’échelle supérieure», souligne Kettani.

Cependant, malgré ces avancées, plusieurs défis subsistent. «Nous n’avons pas encore de Data Centers avec des GPU (processeur graphique – Graphics Processing Unit) capables de traiter de gros volumes de données pour l’IA», déplore-t-il. En effet, l’IA nécessite une puissance de calcul élevée, et le Maroc dépend encore largement des infrastructures Cloud étrangères, ce qui pose des défis de souveraineté des données.

Le rôle des startups marocaines : moteur d’innovation et levier économique

Les startups marocaines sont au cœur du développement de l’IA. Plusieurs d’entre elles exploitent déjà cette technologie dans des domaines stratégiques :

  • AI4Excellence : développe des solutions éducatives personnalisées basées sur l’IA.
  • Smart H : utilise l’Intelligence artificielle pour le diagnostic médical précoce.
  • DeepEcho : travaille sur des solutions de reconnaissance vocale et de traitement automatique du langage naturel en dialecte marocain et en amazigh.

«Nous avons déjà des startups qui font de l’IA dans la santé, la finance, l’agriculture et l’éducation. Mais elles manquent de financement et d’un cadre structurant», explique Kettani.

Les startups marocaines ont ainsi le potentiel de transformer des secteurs clés de l’économie. Mais pour cela, elles ont besoin d’un soutien plus structuré et d’un accès facilité aux financements. «Il faut des fonds d’investissement spécialisés pour financer l’IA. Aujourd’hui, la majorité du capital-risque au Maroc est encore trop frileux vis-à-vis de l’innovation technologique», estime Kettani.

Peut-on créer une IA «Made in Morocco» ?

L’exemple de la startup française Mistral AI, qui a levé plus de 500 millions d’euros en quelques mois, montre qu’un pays européen peut concurrencer les géants américains et chinois dans l’IA générative. Peut-on espérer un scénario similaire au Maroc ?

«Nous devons choisir nos batailles», affirme Kettani. «Se lancer dans une course aux modèles d’IA générative comme OpenAI ou DeepSeek est presque impossible pour nous. Par contre, nous pouvons nous positionner sur des IA sectorielles adaptées à nos besoins.»

Le Maroc pourrait ainsi développer :

• Une IA pour l’agriculture, optimisant la gestion des ressources hydriques et la productivité des cultures.

• Une IA pour la santé permettant des diagnostics plus précis et un meilleur suivi des patients.

• Une IA pour l’éducation, avec des plateformes d’apprentissage intelligentes adaptées au marché marocain.

• Une IA linguistique, qui comprend et traite efficacement l’arabe dialectal (darija) et l’amazigh, des marchés peu couverts par les grands acteurs mondiaux.

«Personne ne travaille sur la darija ou l’amazigh à l’échelle industrielle. C’est une opportunité à saisir, car nous avons un marché local à servir et un savoir-faire que nous pouvons exporter», souligne Kettani.

Les freins à surmonter

Si les opportunités existent, le Maroc doit encore lever plusieurs obstacles pour concrétiser son ambition en IA :

  • Le manque d’infrastructures : «Sans Data Centers équipés de GPU, nous serons toujours dépendants de l’étranger».
  • Le cadre réglementaire : Le Maroc n’a pas encore mis en place de législation spécifique à l’IA. «Nous devons éviter de réguler avant d’innover.
  • L’Europe a fait cette erreur, et elle peine maintenant à rivaliser avec les États-Unis et la Chine».
  • La fuite des talents : «Nous avons d’excellents ingénieurs en IA, mais beaucoup partent travailler aux Émirats, aux États-Unis ou en France, faute d’opportunités locales».

Pour contrer ces défis, un plan d’action clair est nécessaire d’accélérer la mise en place de formations spécialisées en IA, d’attirer des investisseurs privés et étrangers pour financer l’innovation et de créer des infrastructures locales capables de supporter des projets ambitieux. «Si nous réunissons ces éléments, alors oui, le Maroc peut jouer un rôle dans l’IA mondiale. Mais nous devons agir vite, car la course est déjà lancée», avertit Kettani.

Vers une IA au service du développement économique

L’Intelligence artificielle pourrait devenir un levier de transformation majeur pour l’économie marocaine. En structurant un écosystème dynamique et en misant sur des niches stratégiques, le pays pourrait réduire sa dépendance aux technologies étrangères et développer des solutions adaptées à ses besoins spécifiques. «Nous avons les compétences et le potentiel. Ce qu’il manque, c’est une vision d’ensemble et un véritable engagement de l’État et du secteur privé pour faire de l’IA un pôle de compétitivité national», conclut Kettani. Le défi est grand, mais le Maroc a toutes les cartes en main pour faire de l’IA un moteur de son développement économique. Encore faut-il prendre les bonnes décisions dès maintenant.