Les Brésiliens sont accros à la viande
Courrier International
Au Brésil la viande est reine, dans la rue, à la maison ou au restaurant. De préférence bovine et bien cuite.

Dans la rue passante de mon quartier, à la tombée de la nuit, s’installent peu à peu des petites carrioles de churrasco (barbecue, en bon français !). Elles proposent des brochettes de tous types, des morceaux de viande, voire des hot dogs. Les clients prennent place autour, debout, ou sur de mauvaises chaises en plastique, au son de la musique. Ils sortent du travail et font cette pause avant de prendre leur transport en commun, souvent pour de bien longs trajets. Mais ils ne renonceraient pour rien à ce petit plaisir du churrasco de rue.
De la viande partout
Les Brésiliens adorent la viande. Ils en sont de gros consommateurs : environ 37 kilos par an et par habitant, soit moins que les Argentins mais bien plus que les Français ! Pour eux, un vrai repas est forcément “avec de la viande” et même deux fois par jour, pour ceux qui en ont les moyens ! Presque toutes les habitations ont une churrasqueira (un gril) à disposition, dans le jardin, dans l’espace commun de l’immeuble, au bord de la piscine ou dans les appartements eux-mêmes dans les beaux quartiers. Le churrasco informel du week-end entre amis est le nec plus ultra de la socialisation brésilienne.
Pas étonnant que les Brésiliens aient inventé les churrascarias, une formule bien particulière de restaurants organisés autour de la viande, avec le ballet des serveurs passant de table en table et découpant pour le client, à partir d’une longue brochette, un petit morceau d’une viande spécifique à chaque passage. Jusqu’à saturation dudit client ! Énorme succès dans tout le pays ; depuis, les churrascarias ont même élargi leur offre, avec des buffets de salade, par exemple. Plus récemment ont débarqué au Brésil, avec tout autant de succès, des chaînes de restaurants de viande plus traditionnels, baptisés “steakhouse” ! Le client brésilien a le choix.
La viande est un fort symbole culturel et surtout social. Dans les milieux populaires, accéder à une consommation régulière de viande est la preuve tangible d’un changement de statut social. Depuis plusieurs décennies, les gouvernements ont fortement encouragé la production et l’exportation de viande et aussi sa plus large consommation dans le pays. Ils surveillent de près le prix du picanha (rumsteck), car ils connaissent la sensibilité populaire à cet indicateur !
Bovine et bien cuite
Justement, en 2022, le prix de la viande de bœuf a fortement augmenté, obligeant nombre de Brésiliens à y renoncer ou à se rabattre sur le poulet. Je fais une suggestion à mes amis brésiliens : “Il y a ici de l’excellente viande de porc, en côtes ou en filets, et pas chère du tout.” Mines sceptiques, presque dégoûtées : “Non, ce n’est pas vraiment de la vraie viande.” Ah bon ! Le porc est bon pour la feijoada et la charcuterie, un point c’est tout. On ne voit guère non plus d’autres viandes, comme le mouton, l’agneau ou le veau : la viande est bovine !
Ne parlez pas non plus de viande rouge ! Au Brésil, on déteste la viande rouge, saignante. L’expatrié français doit décaler d’un cran toute son échelle de cuisson. Si, au restaurant, vous demandez “saignant” (mal passado), la viande arrivera cuite à point (no ponto), et ainsi de suite. En général, et surtout dans les restaurants les plus simples, elle arrive toujours très cuite, souvent bien trop cuite !
Vous objecterez peut-être : “Mais tout cela est-il bien écologique ?” D’autant plus que l’expansion de l’élevage au Brésil se fait surtout dans des zones déforestées de l’Amazonie et du Cerrado. Aujourd’hui, ce questionnement semble peu concerner la grande majorité des Brésiliens, essentiellement soucieuse de pouvoir se régaler de succulents picanhas en toute bonne conscience.