Les agriculteurs manifestent pour mettre la pression sur le gouvernement et empêcher la signature de l’accord de libre-échange avec le Mercosur
Le Monde
Michel Barnier et Emmanuel Macron se sont prononcés contre le traité avec les pays d’Amérique du Sud. Mais ils n’ont pas réussi à calmer la colère du milieu agricole, qui dépasse le seul rejet de ce texte.
Rarement les responsables politiques français auront été aussi unanimes. Rarement les agriculteurs auront semblé douter à ce point des promesses qui leur sont faites. Alors que sourd à nouveau dans l’ensemble du pays la colère agricole, l’exécutif, comme l’opposition, dénoncent d’une seule voix, ou presque, le traité avec le marché commun sud-américain (Mercosur), honni du monde paysan. L’accord de libre-échange que l’Union européenne (UE) veut signer d’ici à la fin de l’année avec les pays de ce marché (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie) est paré de tous les vices par gauche et droite confondues.
« La France ne signera pas en l’état ce traité », avance Emmanuel Macron, dimanche 17 novembre, de l’Argentine où il vient de s’entretenir avec l’ultralibéral président argentin, Javier Milei. Le chef de l’Etat, qui devait atterrir quelques heures plus tard à Rio de Janeiro, au Brésil, pour un sommet du G20 lundi et mardi avant de s’envoler vers le Chili, promet de peser de tout son poids pour empêcher cet accord qu’il juge « très mauvais » pour l’agriculture. Ses mots font écho à ceux du premier ministre, Michel Barnier, qui, l’avant-veille, avait pris son ton le plus ferme sur France Bleu pour dire « non à ce traité ».
Paris ne peut pas opposer son veto
Cette convergence des luttes entre politiques et représentants de l’agriculture n’aura pas empêché éleveurs et maraîchers de manifester leur désespoir. Dès dimanche soir, les tracteurs perturbaient la circulation automobile en Ile-de-France. « Macron, si tu vas à Rio, n’oublie pas tes péquenots ! », lisait-on sur le capot des engins. Les manifestations devaient se poursuivre lundi dans l’ensemble du pays avec des « feux de colère » attendus dans la plupart des départements. Les exploitants devaient stationner leurs tracteurs dans les rues, places et grandes artères où figure le nom « Europe ». L’objectif est d’« interpeller l’opinion » contre une « Europe passoire », explique Arnaud Rousseau, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) dans La Tribune Dimanche du 17 novembre.
Les syndicats agricoles, qui doivent tenir leurs élections en janvier 2025, redoutent que la France ne se fasse imposer ce traité tant désiré par l’Allemagne et l’Espagne. Ces deux pays salivent devant un marché de près de 300 millions de consommateurs qui pourrait tomber dans les bras de la Chine ou des Etats-Unis si l’Europe ne signait pas. Emmanuel Macron n’ignore pas les avantages de cet accord pour les industriels, y compris français. Mais le chef de l’Etat, comme le premier ministre, font valoir de nécessaires ajustements pour protéger les agriculteurs hexagonaux de la concurrence disproportionnée des estancias et des fazendas, ces propriétés géantes d’Amérique latine
Paris, qui ne peut opposer de veto à un traité commercial, cherche une minorité de blocage en s’alliant avec d’autres membres de l’UE. Pour l’épauler, Michel Barnier, ancien commissaire européen, cite notamment la Pologne. Mais le premier ministre, qui s’est entretenu le 13 novembre avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, pour lui dire tout le mal qu’il pensait de cet accord, prévient sur les ondes de France Bleu qu’« au niveau européen, on ne peut pas agir tout seul, tout le temps ».
Des exploitants exaspérés
« On tape du poing sur la table. Si ce traité est signé, on ira un peu plus vers la désagriculture de la France », prévient-on à la FNSEA. « Si Macron veut montrer qu’il peut encore peser sur la scène internationale, c’est le moment. Il faut du courage politique ! », poursuit le directeur de la communication du principal syndicat agricole, Guillaume Papin. Signer le traité avec le Mercosur « serait une mise à mort de l’agriculture française », a alerté sur BFM-TV, dimanche, Loïc Rivière, président des Jeunes Agriculteurs d’Houdan (Yvelines).
Conclu, l’accord pourrait enflammer la colère des agriculteurs. Mais à l’inverse, si la France parvenait à bloquer les négociations, le mécontentement ne s’éteindrait pas. L’exaspération des exploitants qui s’illustre sur les routes du pays n’est que le premier acte d’une mobilisation qui promet de s’étirer jusqu’au Salon de l’agriculture, fin février 2025, prévient la FNSEA. Deux autres épisodes de protestation sont déjà planifiés afin de dénoncer les contraintes normatives et les difficultés de trésorerie des exploitants.
« Tolérance zéro », prévient Retailleau
Michel Barnier, « très attentif », aux dires de son entourage, à cette mobilisation qui accompagne un mouvement social plus vaste (fonctionnaires et agents de la SNCF appellent notamment à la grève), multiplie les preuves d’empathie. « Toutes les promesses faites aux agriculteurs seront respectées », jure vendredi celui qui fut, de 2007 à 2009, ministre de l’agriculture et de la pêche. Mais que vaut la parole d’un premier ministre sans majorité au Parlement, et qui pourrait être renversé par les oppositions avant la fin de l’année ?
Les syndicats, conscients de la détresse d’une profession en première ligne face à la crise climatique, appellent le gouvernement à accélérer le calendrier, redoutant que la situation ne leur échappe. « Il va y avoir de la violence », prévenait le 13 novembre sur BFM-TV, Christian Convers, secrétaire général de la Coordination rurale. « Des débordements sont possibles », alerte aussi la FNSEA auprès du Monde alors que le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, interrogé dimanche, lors du Grand Jury RTL-M6-Le Figaro-Public Sénat, assure qu’une « tolérance zéro » sera appliquée à l’égard des fauteurs de troubles.