June 8, 2025

Le Danemark lance la première usine de production d’e-méthanol à grande échelle

Au Danemark, European Energy inaugure la toute première usine de production de ce carburant vert, élaboré à partir d’énergies renouvelables, à échelle commerciale.

Par Slim Allagui, au Danemark pour Le Point

Le site de Power-to-X, au Danemark. Le site de Power-to-X, au Danemark.
« C‘est un peu mon bébé et j’en suis fier. » Tenant en main une bouteille miniature d’e-méthanol, « le carburant vert du futur », Knud Erik Andersen, large sourire aux lèvres, se dit « un homme heureux ». À la tête d’une entreprise énergétique danoise de pointe, European Energy, il vient d’inaugurer en grande pompe son projet le plus ambitieux, Power-to-X, la première usine au monde à produire à une échelle commerciale du méthane vert, à Kassoe, dans le sud-ouest du Danemark.

Quelques minutes plus tôt, un camion-citerne rouge et blanc quittait comme une rock star le site sous les applaudissements des invités, avec 23.000 litres dans les réservoirs, la première production du site destinée au porte-conteneurs Laura-Maersk, de l’armateur danois A.P. Moeller Maersk, amarré au port d’Aabenraa à une dizaine de kilomètres de là. Ce bâtiment lancé en 2023 est le premier au monde à naviguer avec du bio-méthanol.

« C’est un jour de fête après quatre années de développement permettant de convertir l’énergie éolienne et solaire en carburants durables et 18 mois de travaux », se félicite Knud Erik Andersen. Et « avec des entreprises uniquement danoises et européennes », pour un coût estimé à environ 150 millions d’euros, « sans aucune subvention », précise-t-il.

Jusqu’à 42 000 tonnes par an

Le site, niché dans un écrin de verdure, alimenté par le plus grand parc solaire d’Europe du Nord de 304 MW, construit par European Energy, vise à produire jusqu’à 42 000 tonnes de e-méthanol (53 millions de litres) par an. Il repose sur « l’utilisation d’électrolyseurs fournis par l’Allemand Siemens Energy, d’une capacité combinée de 52,5 MW, la plus puissante en Europe, fonctionnant principalement à partir de l’énergie solaire », selon Emil Vikjær-Andresen, directeur de l’usine.

« 42 000 tonnes, ça peut paraître comme une goutte d’eau dans l’océan face aux quelque cent millions de tonnes de méthanol produites par an à partir d’énergies fossiles (65 % de gaz et 35 % de charbon), mais c’est un petit pas très important dans la bonne direction », estime-t-il. Cerise sur le gâteau, la chaleur excédentaire dégagée par la production de l’e-méthanol servira à chauffer 2 500 foyers des environs.

« Cette première production n’est que le début d’une montée en puissance progressive, avec des objectifs ambitieux pour accroître nos capacités et continuer d’innover », a rappelé le patron d’European Energy, qui s’est allié depuis 2023 au japonais Mitsui & Co dans ce projet. « Muitsi a apporté, dit-il, son expertise stratégique et son envergure mondiale pour soutenir le développement et l’exploitation à long terme du site » en devenant partenaire à hauteur de 49 % du parc photovoltaïque et de l’usine.

« Ce projet marque, ajoute Knud Erik Andersen, un tournant décisif pour l’industrie des carburants alternatifs, ouvrant la voie à une réduction significative des émissions de CO₂ dans les secteurs difficiles à électrifier, notamment les transports terrestres, maritimes et aériens. » En tout cas, un tournant dans la course vers la transition énergétique au Danemark, pionnier en Europe dans sa recherche d’alternatives viables et durables aux carburants fossiles et à la décarbonation des secteurs des transports et de l’industrie chimie, grands responsables des émissions de gaz à effet de serre.

Confiants dans cette avancée technologique majeure de Power-to-X, avec son e-méthanol produit à partir de CO₂ biogénique et d’hydrogène vert par électrolyse, trois emblèmes industriels du royaume scandinave – l’armateur numéro deux mondial Maersk, le groupe pharmaceutique Novo Nordisk et le géant du jouet Lego – se sont engagés à être les premiers clients.

Un nouveau site de production d’ici 2026

Pour Rabab Raafat Boulos, directrice des opérations à A.P. Moeller Maersk, « le site de Kassoe marque une étape importante dans nos efforts pour trouver de carburants alternatifs pour notre flotte », d’autant que le groupe s’est engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Tout aussi consciente de réduire l’impact de la production sur l’environnement, la représentante de Novo Nordisk, Dorthe Nielsen juge « honteux de voir que les 150 millions de stylos d’injection d’insuline vendus dans le monde sont fabriqués à partir de plastique issu d’énergies fossiles ».

« Nous allons, dit-elle, opter pour le e-méthanol dans notre chaîne de fabrication et pensons même créer un stylo à l’empreinte carbone neutre et réutilisable. » Lego est tout aussi intéressé par « l’approvisionnement en e-méthanol qui fait partie de notre ambition de rendre nos produits plus durables », a affirmé de son côté Carsten Rasmussen, directeur des opérations du groupe.

Signe de reconnaissance, l’usine de Kassoe Power-to-X a été certifiée en avril pour la production d’e-méthanol, conformément au nouveau cadre de durabilité de l’UE pour les carburants renouvelables. Cette certification, la première du genre pour la production de méthanol, a été accordée par le système européen de certification internationale de durabilité et de carbone (ISCC), confirmant que la production de méthanol répond aux critères des carburants renouvelables d’origine non biologique (RFNBO) de la directive sur les énergies renouvelables.

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre « Il faut continuer de nous améliorer, d’innover, comme font les Chinois », assure Knud Erik Andersen, qui compte doubler sa production de méthanol vert en planifiant « l’ouverture d’un nouveau site de production de quelque 100 000 tonnes de e-méthanol en 2026 au Danemark ou peut-être à l’étranger », un projet qui a déjà reçu une aide de 50 millions d’euros de la Commission européenne.

Tout aussi optimiste que les dirigeants d’European Energy, Henrik Lund Frandsen, professeur à l’université technique du Danemark, pense que « l’ouverture du site de Kassoe montre que la technologie danoise est innovante et exportable ». « Le seul problème est que cette technologie a un prix élevé », estime-t-il. « Mais qui baissera forcément si nous parvenons à réduire les coûts et si la production atteint une vitesse de croisière pour répondre à une demande croissante pour ce carburant vert à l’empreinte carbone neutre », nuance le patron d’European Energy.