L’Afrique sera-t-elle réellement entendue à la COP29 ?
Le Point
À Bakou, la première semaine de négociations se termine sur des désaccords. L’Afrique insiste sur ses priorités, adaptation et financement, encore sans réponse concrète.
Par Houmi Ahamed

Les habitants du village de Chamwana Muma marchent dans les eaux de crue après avoir utilisé un pont de fortune pour traverser la rivière Tana en crue, dans le delta du Tana, au Kenya, le 15 novembre 2023. Les pluies catastrophiques en cours en Afrique de l’Est ont été aggravées par le changement climatique d’origine humaine, qui les a rendues jusqu’à deux fois plus intenses, selon les experts. © Gideon Maundu/AP/SIPA
La première semaine de négociations s’achève sur un goût amer en Azerbaïdjan. Comme à l’accoutumée. L’Afrique, notamment, et d’autres pays en développement restent sur leurs positions. L’adaptation et le financement sont et restent leurs priorités. Depuis de nombreuses années, le groupe des négociateurs africains milite pour cette reconnaissance dans toutes les conférences des Nations unies sur le climat. Les négociateurs africains affirment suivre les directives de leurs dirigeants.
L’objectif mondial sur l’adaptation
Le groupe Afrique, présent aux différentes conférences des Nations unies sur le climat, est en effet à l’origine de l’objectif mondial sur l’adaptation. En 2015, lors de la COP21 à Paris, le groupe des négociateurs africains a défendu avec vigueur la question de l’adaptation. Ce combat est cristallisé dans l’accord de Paris. L’accord de Paris pose ainsi les jalons de l’atteinte de cet objectif.
L’article 7 de l’accord de Paris de 2015 établit de fait l’objectif mondial sur l’adaptation. Cet article recommande aux pays de renforcer la capacité d’adaptation et d’agir pour renforcer la résilience et réduire la vulnérabilité au changement climatique. Ces actions ont pour objectif de contribuer au développement durable. Il est essentiel, selon l’article 7, d’assurer une réponse adéquate en matière d’adaptation dans le contexte de l’atteinte de température visée à 1,5 °C requise par la science.
Le financement public international de l’adaptation a augmenté de 22 milliards en 2021 à 28 milliards en 2022, révèle l’édition 2024 du rapport sur l’adaptation du programme des Nations unies Pour l’environnement. C’est une réelle progression depuis l’adoption de l’accord de Paris, selon les auteurs du rapport. Pour des officiels africains parlant à titre personnel, la délivrance de certains de ces fonds est jugée anormale. En effet, plusieurs fonds alloués présentés dans ce rapport sont sous la forme de prêts. « En Afrique, je pense que c’est injuste parce que l’adaptation est un coût qui est causé par les émissions historiques », explique James Murombedzi, haut cadre africain originaire du Zimbabwe, parlant à titre personnel.
Ce rapport sur l’adaptation, publié une semaine avant la COP29, pose question sur les modalités de discussion sur le nouvel engagement sur le financement climat. « Il faut dégager des fonds pour soutenir l’adaptation sans alourdir la dette déjà lourde qui pèse sur le continent », recommande Murombedzi.
Le financement est problématique
La question du financement climat est problématique à tous les niveaux, expliquent des observateurs. Il n’existe pas de définition du financement climat. Les différents groupes de pays développés demandent depuis de nombreuses années aux pays émergents d’y contribuer. En vain. La responsabilité historique est remise en cause, expliquent de nombreux pays en développement.
Les négociateurs africains demandent la reconnaissance des responsabilités communes mais différenciées pour la mise en œuvre du programme de travail sur la transition juste. Cette transition juste serait le résultat d’une collaboration entre pays du Sud et pays du Nord visant à lutter contre le changement climatique par le biais d’actions durables.
La Convention des Nations unies sur le climat en 1992 indique cette reconnaissance des responsabilités. Pour l’Afrique, la reconnaissance des principes des capacités respectives et différentiées doit permettre l’opérationnalisation du fonds pour les pertes et dommages afin d’aider les pays africains à faire face aux impacts irréversibles du changement climatique. Cette reconnaissance doit aussi aider au rétablissement des communautés touchées.
Pour les officiels africains travaillant aussi à l’international, il est urgent d’agir. « Le coût de l’inaction est bien supérieur à l’investissement nécessaire pour construire un avenir résilient et prospère pour l’Afrique », explique en marge des négociations Claver Gatete, secrétaire général adjoint des Nations unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA).
Au mois de septembre dernier, les dirigeants africains se sont rencontrés dans le cadre de la conférence des ministres africains de l’Environnement (AMCEN). Ils ont décidé à l’unanimité de souligner l’importance de travailler pendant la COP29 sur l’opérationnalisation complète de l’objectif mondial sur l’adaptation.
Toutes les dimensions de l’adaptation doivent être prises en compte, précisent-ils dans leur déclaration finale. Les effets du changement climatique, les prévisions, la mise en œuvre, l’évaluation, l’apprentissage et la surveillance font partie des éléments à intégrer.
La question du financement, point central des négociations de la COP29, priorité de l’Afrique, doit être résolue à travers le nouvel objectif chiffré collectif, rapportent des observateurs.
Le nouvel objectif chiffré collectif
Pour les pays en développement, notamment l’Afrique, le nouvel objectif chiffré collectif (NCQG) pour le financement climatique devant être fixé, selon l’accord de Paris, avant 2025 doit être ambitieux et axé sur les résultats. Il doit ainsi soutenir les pays en développement dans leur transition vers une économie sobre en carbone.
Les dirigeants africains demandent l’adoption du nouvel objectif chiffré collectif pour permettre la mise en œuvre des contributions et plans nationaux d’adaptation. Mais d’où cet argent proviendra-t-il ? Sous quelles formes ?
Ce nouvel objectif chiffré doit par ailleurs, selon les dirigeants africains, répondre aux défis économiques mondiaux, aux coûts élevés du capital et aux problèmes de viabilité de la dette des pays en développement.
Des négociations dans l’impasse
Pourtant, les négociations actuelles sont dans l’impasse. Dans leur déclaration signée au mois de septembre, les ministres africains de l’Environnement affirment reconnaître l’engagement des pays développés à leurs obligations relatives à la délivrance du financement, conformément aux directives de la Convention des Nations unies sur le changement climatique. Mais les négociations sur le climat sont aussi diplomatiques, avec un langage tenant compte du discours politique.
À la COP29, l’Afrique demande une mobilisation du nouvel objectif chiffré collectif d’un montant annuel non inférieur à 1,3 billion de dollars. Cette demande fait écho à celle de pays en développement tels que l’Inde.
« Pour nous, en Afrique, l’adaptation signifie le soutien à l’agriculture, le soutien au développement, une infrastructure d’eau résiliente et une couverture sanitaire pour tous, dans un contexte de surpopulation due aux maladies liées au climat », souligne en début de semaine le président du groupe des négociateurs africains, Ali Mohamed, originaire du Kenya.
Le président de ce groupe représentant 54 pays a particulièrement mis en exergue la nécessité urgente d’un financement accru et d’une manière plus structurée des activités liées au climat et à l’inclusion de la santé dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le changement climatique.
« Le groupe africain est préoccupé par la lenteur du programme de travail sur l’objectif mondial sur l’adaptation », a récemment déclaré Kulthoum Omari Motsumi, conseillère spéciale de l’initiative africaine de l’adaptation au changement climatique.
Cette initiative lancée à la COP21 intègre aujourd’hui de jeunes experts africains dans le domaine du financement climat et de la science. « Les moyens de mise en œuvre, y compris le financement, le renforcement des capacités et le transfert des technologies, sont essentiels et doivent constituer une partie importante du résultat de l’objectif global sur l’adaptation ici à Bakou », conclut-elle.
Outre l’adaptation et le financement, d’autres domaines sont prioritaires pour l’Afrique. Les négociateurs demandent la reconnaissance formelle des circonstances particulières de l’Afrique dans le cadre de l’accord de Paris. Une demande réitérée depuis 2015. Les négociateurs rappellent que l’Afrique n’émet que 4 % des émissions mondiales. De fait, il y a, selon les délégations africaines, une asymétrie entre les émissions minimales du continent et la vulnérabilité aux impacts climatiques, principalement dans les secteurs de l’eau, de l’agriculture, de l’énergie et de la santé.