Incertitude et flatterie : comment Macron compte amadouer Trump
Le Point
Face aux internautes jeudi soir, le chef de l’État a dévoilé sa stratégie pour faire entendre raison au président américain sur l’Ukraine lors de sa visite à Washington lundi 24 février.
Emmanuel Berretta

Donald Trump et Emmanuel Macron, ici lors de la réouverture de Notre-Dame, le 7 décembre 2024, se côtoient depuis 2017. © Matthieu Mirville/ZUMA Press Wir/SIPA /
« Donald Trump, moi, je le connais », prévient Emmanuel Macron, qui s’envolera bientôt pour Washington, où il rencontrera ce lundi 24 février le président américain au nom de tous les Européens. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, est sur la touche, tout comme le président du Conseil, Antonio Costa. Donald Trump ne traite qu’avec Emmanuel Macron, qu’il fréquente, dans les allées du pouvoir, depuis son premier mandat en 2017. Macron confie avoir une fois par semaine une conversation téléphonique « très fluide » avec Trump, sans faire de communiqué.
Dans un exercice improvisé de réponses aux internautes sur les réseaux sociaux, ce jeudi, entre 18 h 30 et 19 h 45, le président Macron a livré son décryptage des agissements du locataire de la Maison-Blanche et a confié le message qu’il allait lui porter. « Le maître mot, c’est incertitude. Donald Trump, il crée de l’incertitude chez les autres parce qu’il veut faire des deals, trouver des accords, explique Emmanuel Macron. Le Donald Trump qui crée de l’incertitude pour Vladimir Poutine, c’est une très bonne chose pour lui. » Au sens où il peut surprendre le président russe, qui sait Trump « capable de tout ».
Faire de l’imprévisibilité de Trump un atout
Fort de cette analyse, Macron livre son plan. « Cette incertitude, elle est bonne pour nous et pour l’Ukraine, suggère-t-il. Simplement, il faut réussir à structurer ce qui va venir ensuite, donc le plan de paix solide et durable. » Ce plan de paix auquel le président français travaille avec les alliés européens et au-delà (les Canadiens, Norvégiens, Islandais).
Problème : Donald Trump crée de l’incertitude également pour les alliés… « C’est l’envers de la médaille », admet Macron. « C’est pour ça que vous voyez tout le monde inquiet, reprend-il. Parce qu’en fait on se dit qu’il peut-être est capable de négocier quelque chose qui sera insuffisant. Il est peut-être capable de laisser trop de choses sur la table, de sacrifier l’Ukraine, etc. Moi, je ne crois pas », conclut-il, plus optimiste.
Flatter pour convaincre
C’est alors la partie la plus surprenante de ce « one-man-show » sur les réseaux sociaux : Macron livre la manière dont il va titiller l’ego du président Trump pour l’amener à la raison et à cesser cette campagne agressive contre le président Zelensky. « Je vais lui dire : “Tu ne peux pas être faible face au président Poutine. Ce n’est pas toi, ce n’est pas ta marque de fabrique. Ce n’est pas ton intérêt. Comment, ensuite, être crédible face à la Chine si tu es faible face à Poutine ?” »
Si ça ne suffisait pas, Macron sortirait un deuxième argument visant à réveiller la méfiance américaine à l’égard de l’ancien ennemi russe. « La deuxième chose, je vais lui dire : “Si tu laisses l’Ukraine prise, la Russie, elle sera inarrêtable pour les Européens, pour tous, mais non seulement elle sera encore plus forte, elle continue d’investir, mais elle va aussi récupérer l’Ukraine et son armée, qui est une des plus grandes d’Europe, avec tous nos équipements, y compris les équipements américains. C’est une faute, énorme. Et puis toi qui veux que l’Iran n’acquière pas la bombe nucléaire, tu ne peux pas être faible avec quelqu’un qui est en train de l’aider à l’acquérir. Toi qui veux que la Chine ne vienne pas contester Taiwan et autres, comment expliquer que la Chine n’a pas le droit d’envahir Taïwan et que la Russie a le droit d’envahir l’Ukraine ?” C’est ce que je vais lui dire. Ça, je crois que ce sont des arguments qui peuvent porter. »
Ah oui, là, c’est sûr, Donald Trump va se réveiller… Vient alors le moment de le récupérer, de le rassurer, de lui démontrer tous les avantages de revenir vers l’atlantisme des plus beaux jours : « Puis je vais lui dire aussi que c’est son intérêt de travailler avec les Européens parce que l’Europe a une capacité de croissance, un potentiel économique de coopération avec les Américains. » Là, en principe, Donald Trump devrait être convaincu.
C’est tout de même passer sous silence que Donald Trump en veut à l’Europe de s’enrichir sur son dos (c’est ainsi qu’il le perçoit, du moins), de taxer ses produits via la TVA (il la déteste) et qu’il a prévu, le 12 mars prochain, de taxer l’acier et l’aluminium à 25 % et, sans date précise, d’imposer aux produits européens une taxation équivalente à celle des produits américains en Europe. Le potentiel économique de l’Europe, Donald Trump l’a bien perçu, mais, dans son esprit, c’est à sens unique : à lui les bénéfices, les relocalisations, le rééquilibrage de la balance commerciale et aux Européens leurs yeux pour pleurer. « America First », tout est dans le slogan.