June 8, 2025

Gaz et hydrogène au Maroc : entre pragmatisme et ambition

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Le Maroc engage une transformation en profondeur de son modèle énergétique. Pour réussir cette transition, il devra s’appuyer sur d’autres sources d’énergie que les seules renouvelables, déjà en plein essor. Gaz naturel ou hydrogène vert : quelle option est aujourd’hui la plus accessible pour le Royaume ? Une complémentarité est à orchestrer pour la concrétisation des objectifs de la stratégie bas carbone du Maroc qui s’appuie sur trois piliers : les énergies renouvelables, le gaz naturel et l’hydrogène vert.

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Nadia Benyouref

Confronté à l’impératif de décarbonation et à la pression croissante contre les énergies fossiles, le Maroc engage une transformation en profondeur de son modèle énergétique. Il a amorcé une transition ambitieuse, misant sur la diversification de ses sources et l’intégration progressive du gaz naturel et de l’hydrogène vert. Le ministère de la Transition énergétique et du développement durable ambitionne de porter la part du gaz naturel à 30% du mix énergétique national à l’horizon 2030. Et ce, afin de faire du gaz naturel l’un des piliers de l’avenir énergétique du Royaume. Une stratégie multisectorielle, fondée sur des investissements majeurs et des partenariats public-privé, est en cours de déploiement pour renforcer l’indépendance énergétique du Royaume et honorer ses engagements climatiques. Le Maroc s’est notamment engagé officiellement à sortir du charbon d’ici 2040. L’annonce faite par Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du développement durable, lors de la 16e Conférence de l’Énergie organisée par la Fédération de l’énergie le 23 avril dernier à Ouarzazate, ne fait que témoigner de cette détermination résolue à concrétiser cette transition. La ministre a annoncé le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt pour le développement d’infrastructures gazières à l’échelle nationale. Ce projet comprend la mise en place d’un premier terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) au port de Nador West Med, ainsi que la construction d’un réseau de gazoducs destiné à relier ce terminal au Gazoduc Maghreb-Europe (GME) et à alimenter les centrales actuelles et futures de l’ONEE, ainsi que plusieurs zones industrielles, de Mohammedia à Kénitra. À terme, ces tronçons seront interconnectés avec les futurs terminaux GNL sur la façade atlantique, ainsi qu’au Gazoduc Afrique Atlantique en cours de développement, via le port de Dakhla. La capacité annuelle prévue du gazoduc Afrique Atlantique est de 30 milliards de m³ de gaz naturel. Cette capacité permettra de dédier un flux de 15 milliards de m³ à l’exportation vers l’Europe, en tirant parti de la connexion existante avec le Gazoduc Maghreb Europe (GME).

Une étape stratégique est franchie

Par rapport à l’hydrogène, le Maroc a franchi une étape stratégique dans la structuration de sa filière hydrogène vert. Dans le cadre de l’Offre Maroc,

MASEN a reçu, en quelques mois, plus de quarante manifestations d’intérêt de la part d’acteurs de renom. «La sélection récente de six premiers consortiums confirme l’attractivité croissante du Maroc. Ce succès repose sur un modèle à la fois compétitif, structuré et aligné avec les meilleures pratiques internationales», indique le PDG de MASEN qui agit comme maître d’ouvrage stratégique: il accompagne les investisseurs, facilite l’émergence de projets viables et garantit une cohérence d’ensemble à travers un travail étroit avec les institutions publiques concernées. Ce positionnement s’inscrit dans une logique de partenariat proactif avec des acteurs industriels nationaux et internationaux, dont l’intérêt croissant pour le Maroc confirme son attractivité et son potentiel unique. Ces six projets portés par de grands consortiums internationaux, parmi lesquels figurent les groupes espagnols Acciona et Cepsa, l’allemand Nordex, l’américain Ortus, ainsi que l’émirati Taqa, viennent s’ajouter aux deux projets prévus par les deux accords signés devant S.M. le Roi Mohammed VI et le Président français, Emmanuel Macron, en octobre 2024 à Rabat. À l’horizon 2030, le Royaume vise une capacité de production d’énergies renouvelables de 120 GW et l’attraction de 300 milliards de dollars d’investissements dans la filière hydrogène vert. Le Maroc offre aujourd’hui l’un des environnements les plus compétitifs du continent pour les investissements dans l’hydrogène vert, en combinant rentabilité des projets et stabilité des conditions d’investissement.

La ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, Leila Benali, a annoncé, mardi à Rabat, que l’étude de faisabilité et les études d’ingénierie préliminaires du projet de Gazoduc Afrique-Atlantique (Nigeria-Maroc) ont été achevées, outre la détermination du tracé optimal du gazoduc.

Il apparaît ainsi que le Maroc, dans le cadre de sa stratégie de diversification de ses sources énergétiques, mise sur une intégration progressive du gaz naturel et de l’hydrogène vert. Dans ce contexte, une question centrale s’impose : Entre gaz naturel et hydrogène vert, quelle énergie s’impose comme la plus accessible pour le pays ? Pour le président de la Fédération de l’énergie, Mohammed Rachid Idrissi Kaïtouni, il s’agit plutôt d’options complémentaires dans la transition énergétique. «Le gaz naturel apparaît aujourd’hui comme l’alternative la plus réaliste à court et moyen termes. Il permet une réduction immédiate des émissions de CO2 tout en assurant une stabilité du réseau. Cela dit, le gaz naturel est une option stratégique importante pour le Maroc dans le cadre de sa transition énergétique et de son développement économique», précise-t-il.

Le financement, un enjeu majeur

Pour orchestrer cette complémentarité, Badr Ikken, président du Conseil d’Affaires Maroc-Allemagne de la CGEM et Managing Partner du cabinet de transition énergétique Gi2, rappelle les trois piliers de la stratégie bas carbone du Maroc : les énergies renouvelables, le gaz naturel et l’hydrogène vert.

«À court terme, le développement de l’ammoniac vert constitue la priorité. Produit localement à partir d’hydrogène vert et valorisé dans l’industrie des engrais, il représente un débouché direct, économiquement viable, appuyé sur une demande nationale forte et des infrastructures logistiques existantes. À moyen terme, le projet structurant du gazoduc Nigeria-Maroc jouera un rôle central. Il permettra non seulement d’acheminer du gaz vers l’Europe, mais également d’intégrer progressivement du blending, c’est-à-dire l’injection d’hydrogène vert dans le réseau gazier, ce qui optimisera l’usage des infrastructures tout en réduisant l’empreinte carbone des flux exportés», explique Ikken avant de poursuivre: «Le gaz naturel, en parallèle, reste une énergie de transition précieuse. Il permet de sécuriser l’approvisionnement, de compenser l’intermittence des renouvelables et de stabiliser le réseau électrique. Cette flexibilité est essentielle pour accompagner le développement progressif de solutions hybrides renouvelables-hydrogène».

À long terme, le Maroc ambitionne d’attirer sur son territoire des industries intensives en hydrogène vert, notamment la production d’acier par réduction directe (DRI), la chimie bas carbone ou encore la fabrication de matériaux de construction décarbonés. «Cette implantation industrielle sera rendue possible grâce à une co-localisation intelligente des infrastructures énergétiques et industrielles, et à une montée en puissance des capacités nationales en matière de production, de logistique et de formation», considère Badr Ikken.

Le financement devient alors un enjeu majeur. Pour Fatima-Zahra El Khalifa, directrice générale du Cluster ENR, il s’agit de structurer un mix de financements efficace. «La transition énergétique nécessite des investissements massifs. À elle seule, la feuille de route de développement des capacités EnR – incluant 20 GW dédiés à l’hydrogène vert – nécessitera plus de 500 milliards de dirhams d’investissements cumulés, selon les estimations officielles. Et plus de 27 milliards de dirhams sont déjà prévus dans les cinq prochaines années rien que pour le renforcement des réseaux et l’intégration des renouvelables. Or, un tel effort financier ne peut pas reposer uniquement sur l’État. Il faut mobiliser un mix de financements intelligemment structuré, combinant des ressources publiques, privées et internationales», insiste-t-elle.