June 9, 2025

Fiscalité : l’imposition des sociétés dans le monde se stabilise

Après une longue période de baisse, les taux légaux de l’impôt sur les entreprises semblent avoir stoppé leur érosion, selon les dernières données publiées par l’OCDE le 11 juillet.

Enjeu de l’attractivité d’un pays et de sa compétitivité à l’international, la fiscalité des entreprises a peu évolué ces dernières années. Selon le rapport annuel de l’OCDE détaillant les taux de l’impôt sur les sociétés (IS) dans 160 pays et leur évolution sur 20 ans, ils sont restés stables, à 21,1 %, au cours des trois dernières années. Cette stabilité fait suite à deux décennies au cours desquelles les taux moyens de l’IS ont fortement diminué, passant de 28 % en 2000 à 21,1 % en 2021.

Alors que cette baisse pourrait paraître paradoxale eut égard aux besoins de nombreux Etats après la pandémie de la Covid-19 et le début de la guerre en Ukraine, cette tendance pourrait s’expliquer par le besoin d’attirer des investissements directs étrangers afin de dynamiser leur économie. Mais, selon l’OCDE, elle tient peut-être également à l’anticipation du nouvel impôt minimum mondial. Explications.

Un impôt minimal mondial de 15 %

Pour endiguer pratiques « l’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices » (ou BEPS, pour base erosion and profit shifting), soit l’exploitation par les multinationales des lacunes et disparités des règles fiscales afin d’éviter de payer l’impôt, les pays de l’OCDE et du G20 ont impulser il y a dix ans une vaste réforme de la fiscalité mondiale. L’objectif ? Mettre en place un ensemble unique de règles pour combattre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices tout en assurant des recettes budgétaires aux Etats. Pour ce faire, 140 pays se sont engagés à garantir un taux effectif minimum d’imposition des sociétés de 15 %.

33 juridictions* appliquent déjà, ou prévoient d’appliquer, cette nouvelle règle fiscale en vigueur depuis le 1er janvier dans les pays de l’Union européenne. Concrètement, une société française ayant localisé ses profits dans un paradis fiscal est désormais imposée en France à hauteur de 15 % de ses bénéfices. Si elle est taxée à 8 % dans un pays à faible fiscalité, elle doit verser la différences (7%) à l’Etat français.

Recul de l’érosion de la base fiscale

Autre enseignement de l’édition 2024 du rapport de l’OCDE : certaines incitations fiscales destinées à attirer les actifs incorporels mobiles et les revenus qu’ils génèrent (marques, technologies…) comme les régimes de propriété intellectuelle sont également restées stables. Les taux effectifs d’imposition applicables au revenu des actifs incorporels perçus par les entreprises multinationales (EMN), incitations comprises, sont restés relativement constants sur la période 2019-2023, après avoir reculé de près de 13 % entre 2000 et 2019.

Enfin, cette étude statistique comporte une bonne nouvelle : l’analyse des données fiscales déclarées pays par pays laissent entrevoir un recul des pratiques de BEPS ces quatre dernières années. En particulier, la valeur des indicateurs agrégés sur les pratiques de BEPS potentielles dans les centres d’investissement a baissé. Ces indicateurs comprennent le chiffre d’affaires médian par salarié (qui a chuté de 13,1 % par rapport à sa valeur de 2017), les bénéfices médians par salarié (- 16,1 %) et le chiffre d’affaires médian avec des parties liées en pourcentage du chiffre d’affaires total (- 11,5 %). Une analyser à nuancer, cependant : ces données datent de 2021 et pourraient aussi être influencés par les effets de la pandémie de Covid-19.

Des recettes fiscales plus importantes pour les pays à faible revenu

Reste que, au-delà de ce panorama de l’IS dans le monde, une ligne subsiste entre pays riches et pays pauvres. La part de l’impôt sur les sociétés dans les recettes fiscales totales (16 % en moyenne) est généralement plus importante dans les pays à revenu moyen et faible : en Afrique (18,7%), en Asie- Pacifique (18,2 %) et en Amérique latine-Caraïbes (15,4 %) que dans les pays de l’OCDE (10,2%).

Dans dix-sept juridictions (Bhoutan, Cuba, Egypte, Guinée équatoriale, Guyana, Hong Kong, Indonésie, Kazakhstan, Malaisie, Nigeria, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Pérou, République démocratique du Congo, Singapour, Tchad, Timor-Leste et Trinité-et-Tobago) les recettes de l’impôt sur les sociétés représentent plus d’un quart des recettes fiscales totales.

Un outil de compétitivité et de dynamisme

Il y a cependant moins de variations entre les groupes de pays en termes de part des recettes de l’IS du PIB. La moyenne des recettes de l’impôt sur les sociétés en pourcentage du PIB (3,2 % en moyenne dans le monde) est ainsi plus élevée dans les pays de l’OCDE et d’Amérique latine-Caraïbes (3,3 % respectivement) qu’en Asie- Pacifique (3,2 %) et en Afrique (2,7 %).

Malgré ces variations entre pays riches et pays à faible revenu, des taux d’imposition des entreprises au plus bas constituent également un facteur de développement économique pour des pays développés. Exemple récent avec le Portugal dont le nouveau gouvernement de centre droit vient d’annoncer l’abaissement de l’IS de 21 % à 15 % à l’horizon 2027. Ce pays qui souhaite jouer un rôle plus important dans la supply chain européenne souhaite ne pas faire reposer sa croissance sur le seul secteur touristique et miser sur l’innovation et la modernisation de son industrie.

En janvier dernier, le commissaire européen à l’Economie Paolo Gentiloni estimait que la mise en place du taux minimal de 15 % permettrait de dégager 220 milliards d’euros supplémentaires « afin d’aider des pays à travers le monde à financer des investissements essentiels et des services publics de qualité ». Mais la route risque d’être encore longue.

Sophie Creusillet