June 10, 2025

Face à l’invasion égyptienne et turque, les professionnels du textile contre-attaquent

Hespress Français – Actualités du Maroc

Face à l’invasion égyptienne et turque, les professionnels du textile contre-attaquent

Les professionnels marocains du textile ne sont pas contents et ils le font savoir. À la veille de la visite d’une délégation égyptienne de haut niveau, composée de représentants des ministères des Finances, de l’industrie, de l’investissement et du commerce extérieur, ils ont appelé à la mise en place de mesures non tarifaires et à une réévaluation des accords de libre-échange entre le Maroc, l’Égypte et la Turquie.

Pointant du doigt une concurrence déloyale, les professionnels du textile montent au créneau face à l’inondation du marché national par des produits textiles importés, creusant un déficit commercial record en faveur de ces deux pays. Selon des chiffres obtenus auprès de l’Office des changes, la valeur des importations en provenance d’Égypte a grimpé de 475 millions de dirhams en 2023 à 804 millions de dirhams à un mois de la fin de l’année 2024. Pendant ce temps, les exportations marocaines vers l’Égypte ont chuté de 17 millions à 11 millions de dirhams.

La balance penche toujours de l’autre côté, une situation qui déplaise aux professionnels. Pour Anass El Ansari, président de l’Association marocaine des industries du textile et de l’habillement (AMITH) la situation est critique : le déficit commercial avec l’Égypte atteint désormais 98 %, un niveau préoccupant qui met en danger l’industrie textile nationale.

Approché par Hespress, le responsable a indiqué qu’investir “dans le textile est devenu risqué et largement compromis par les accords de libre-échange avec l’Égypte et la Turquie, sans compter l’importation massive de vêtements d’occasion”.

Il souligne également l’emprise croissante des exportateurs turcs et égyptiens sur le commerce local, allant jusqu’à organiser un salon du textile turc à Casablanca, inauguré par l’ambassadeur de Turquie au Maroc. Un signal fort d’une stratégie commerciale agressive visant à transformer le Maroc en marché pour les textiles turcs.

Confrontés à cette invasion et face à l’impossibilité d’annuler ces accords, les industriels marocains appellent à leur réévaluation et à l’adoption de mesures restrictives sur les matières premières, les certificats d’origine et les quantités importées.

Ils alertent aussi sur l’impact négatif des importations sur les réserves de devises étrangères, qui reposent essentiellement sur les exportations et les transferts des Marocains résidant à l’étranger.

Les conséquences ne s’arrêtent pas là. Plus inquiétant encore, l’afflux massif de textiles importés menace des milliers d’emplois. Le secteur représente 24 % de la main-d’œuvre industrielle, avec 238.000 travailleurs déclarés à la caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS). Une situation qui, dans un contexte de chômage à 13,6 %, pourrait provoquer des licenciements massifs.

Les tensions entre le Maroc et l’Égypte en matière de commerce ne datent pas d’hier. Avant la fin de son mandat, Moulay Hafid Elalamy, alors ministre de l’industrie et du commerce, avait reproché à son homologue égyptienne le blocage des exportations marocaines dans les ports égyptiens. Face à cette entrave, il avait lancé un avertissement : « Si vous bloquez nos produits pendant trois mois, nous ferons de même. »

Une situation qui révèle l’application par l’Égypte de mesures non tarifaires, ralentissant les contrôles douaniers et les inspections sanitaires des produits marocains. Le Maroc, de son côté, n’impose pas de telles restrictions, ce qui favorise encore davantage le déséquilibre des échanges.

Si certains considèrent ces accords comme bénéfiques pour le consommateur, en raison de la baisse des prix et du renforcement de la concurrence, d’autres estiment que cette concurrence est biaisée.

Selon Wadie Madih, président de la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC), la compétitivité doit bénéficier aussi bien aux producteurs qu’aux consommateurs. Il encourage les industriels marocains à adapter leurs chaînes de production pour offrir des produits compétitifs en termes de qualité et de prix.

Il exhorte également les consommateurs à privilégier les produits « Made in Morocco », à condition qu’ils soient aussi compétitifs que les importations.

Toutefois, le professionnel met en garde contre “les pratiques de certains importateurs, qui inondent le marché avec des produits de moindre qualité à bas prix, au détriment de l’industrie locale”. Il appelle donc les autorités à renforcer les contrôles sur les textiles importés, afin de protéger à la fois les consommateurs et les producteurs nationaux.

L’augmentation spectaculaire des importations égyptiennes et turques met en lumière les failles des accords de libre-échange, qui semblent davantage profiter aux partenaires du Maroc qu’à son industrie locale.

Face à cette “impasse”, le label “Made in Morocco” traverse des eaux troubles. Certains l’accusent d’être trop cher, d’autres préfèrent la qualité des produits importés, au détriment des professionnels locaux…