Et si on faisait enfin confiance à nos entrepreneurs ( France )
La crise actuelle avec les États-Unis offre enfin un peu de visibilité aux entrepreneurs et créateurs français qui veulent nous libérer des Big Tech.
Guillaume Grallet du Le Point
Quentin Adam, le créateur de l’hébergeur français Clever Cloud.
La guerre commerciale déclenchée par Donald Trump a révélé à la fois l’extraordinaire dépendance de notre économie aux géants américains – et sans doute bientôt chinois – de la technologie et la nécessité de bâtir le socle d’une renaissance numérique européenne.
« Quand je dois faire des choix de cloud et opter entre Amazon, Microsoft ou Google, je ne suis pas très à l’aise », a regretté Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, le 7 avril à Lille (Nord), à l’occasion du Forum InCyber, un événement consacré à la cybersécurité.
Il a poursuivi : « Si demain, pour des raisons géopolitiques, on nous coupe l’accès à ces technologies, on est en difficulté. » De son côté, Emmanuel Macron a expliqué qu’après la décision de Trump, qu’il a qualifiée de « brutale et infondée », l’Union européenne devrait envisager toutes les options en réponse, y compris des mesures contre les services numériques particulièrement profitables en Europe.
Brillants ingénieurs et chercheurs
Il ne s’agit pas ici de minimiser l’extraordinaire parcours de ces entreprises, qui, pour la grande majorité d’entre elles, n’existaient pas il y a un demi-siècle : Microsoft, qui fête justement début avril ses 50 ans, ne cesse de se réinventer en pariant sur l’intelligence artificielle, tandis que le budget R&D d’Amazon a dépassé l’an dernier les 88 milliards de dollars, soit plus que ce que dépense la totalité du CAC 40.
Les sept « fantastiques » chutent en Bourse

Mais comment se fait-il que la France, qui compte de si brillants ingénieurs et chercheurs, n’ait pas davantage sécurisé ses actifs vitaux ? N’en déplaise aux nombreux acteurs du cloud français, les données de santé du Health Data Hub reposent en partie sur les serveurs de Microsoft, tandis que Thales a noué un accord avec Google, en échange de la promesse d’une garantie de sécurisation des données.
Or les solutions existent en France. La Poste s’est notamment alliée avec Outscale, issu de Dassault Systèmes, pour, avec Bouygues Telecom et la Banque des territoires, proposer sa propre solution d’hébergement de données.
Une union des acteurs souverains
La France dispose aussi de smartphones sécurisés. « Nos ventes augmentent en ce moment », se réjouit Gaël Duval, à l’origine de Murena, qui, en s’appuyant sur le téléphone néerlandais Fairphone, propose un système d’exploitation garantissant l’absence de fuites de données. L’entrepreneur, qui a une partie de ses équipes à Caen (Calvados), appelle néanmoins à une union des acteurs souverains, afin de créer un « Airbus de la technologie » capable de peser dans le monde.
C’est aussi un souhait de Quentin Adam, le créateur de l’hébergeur français Clever Cloud, qui, en dehors d’une taxation plus juste des Big Tech, appelle de ses vœux un Small Business Act européen, c’est-à-dire le fait de réserver une partie des commandes publiques à de petites entreprises issues du Vieux Continent.
« Nous avons toutes les technologies critiques en Europe », explique Jean-Paul Smets, créateur de l’entreprise de logiciels libres Nexedi, pour qui « le problème n’est pas tant un problème d’ordre que de changement des habitudes ». Tous s’accordent à dire qu’il y a un état d’esprit qu’il faut modifier.
« Le plus grand combat aujourd’hui, ce n’est pas contre les géants du numérique, c’est contre l’idée que nous ne pourrions pas construire une alternative. Il est temps de redresser la tête, de retrouver la fierté de ce que nous sommes capables de produire. Et c’est sans doute le plus puissant levier pour répondre au défi colossal que vient de nous lancer Donald Trump », conclut Quentin Adam.