June 9, 2025

Droits de douane : les gagnants cachés de la guerre commerciale de Donald Trump

Etats-Unis. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump multiplie les droits de douane. Tandis que Wall Street gronde, l’industrie sidérurgique et le marché des voitures d’occasion prospèrent dans l’ombre.

Aurore Maubian de L’Express

Le président Donald Trump a révoqué fin février la licence du pétrolier Chevron

L’industrie sidérurgique américaine fait partie des rares secteurs à voir d’un bon œil cette nouvelle vague protectionniste.

« Je suspends ma campagne ». Le 1er avril 2024, les électeurs républicains frissonnaient en découvrant l’e-mail de Donald Trump, avant de réaliser, en un clic, qu’il s’agissait d’une traditionnelle supercherie du poisson d’avril. Cette année, la sidération pourrait bien être réelle. Ce mercredi 2 avril, ce ne sont plus quelques secondes d’incertitude, rapidement dissipées par un lien moqueur, mais une onde de choc qui menace de secouer l’économie mondiale. Après avoir ciblé l’acier et l’aluminium puis le secteur automobile avec 25 % de droits de douane, le président américain s’apprête à franchir une nouvelle étape. Ce mercredi, qu’il qualifie de « jour de la libération », le chantre du MAGA (Make America Great Again) compte ériger de nouvelles barrières douanières « réciproques ».

Depuis son retour au Bureau ovale le 20 janvier dernier, Donald Trump a cultivé son imprévisibilité en s’engageant dans une escalade sur le montant des taxes appliquées aux produits importés aux Etats-Unis. Une stratégie non sans conséquences. Les actions des compagnies aériennes ont été frappées par des avertissements de baisse de la demande, Delta Air Lines, American Airlines et United Airlines ayant chuté d’environ 30 % depuis le pic de février du S & P. Les banques, un autre secteur sensible aux craintes croissantes de récession, ont également souffert de ces annonces : entre autres, Citigroup, Morgan Stanley et Goldman Sachs sont en baisse de 20 %. Et ce, sans parler de la chute spectaculaire de 30 % de l’entreprise d’Elon Musk, Tesla. Mais si les marchés commencent à ruminer l’éventualité d’une récession future, certaines entreprises américaines accueillent avec enthousiasme cette salve de tarifs douaniers.

L’acier américain protégé, mais à quel prix ?

L’industrie sidérurgique américaine fait partie des rares secteurs à voir d’un bon œil cette nouvelle vague protectionniste. Entrés en application à la mi-mars, des droits de douane de 25 % sur l’acier et l’aluminium importés aux Etats-Unis ont été imposés par le président américain. En taxant plus lourdement les importations, Washington entend offrir du répit aux producteurs nationaux, malmenés depuis des décennies par la concurrence étrangère. Une bonne nouvelle pour Stephen Capone, président de Capone Iron Corporation, fabricant de produits en acier. « Pendant trop longtemps, les concurrents canadiens ont inondé le marché de la Nouvelle-Angleterre de produits sidérurgiques bon marché, empêchant des entreprises locales de conclure des affaires. Ils décimaient notre marché », s’est-il indigné auprès de nos confrères du New York Times.

Sur le court terme, l’industrie sidérurgique pourrait ainsi « observer un gain en raison de la réduction immédiate de la concurrence canadienne », soutient Christopher Dembik, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management, interrogé par L’Express. « Historiquement, il y a toujours eu des taxes et le Canada bénéficiait d’exemptions tarifaires pour les exportations d’aluminium et d’acier. Cela fait qu’automatiquement, en termes de compétitivité, il y avait un différentiel extrêmement important par rapport aux entreprises américaines », continue-t-il. Le pays de Mark Carney n’était pas le seul concerné par cette concurrence déloyale. D’après Philip Bell, président de la Steel Manufacturers Association (un groupe commercial américain, NDLR), interrogé par le quotidien new-yorkais, les entreprises mexicaines importaient de l’acier bon marché de Chine et l’exportaient aux Etats-Unis, à un prix défiant toute concurrence.

L’enthousiasme pourrait toutefois être de courte durée. « Les aciéries aux Etats-Unis vont gagner, mais les études montrent qu’on sauve ces emplois à un coût exorbitant pour l’économie. Il y a une telle disruption dans les chaînes de production, qu’en net, la collectivité y perd », résume Raphaël Gallardo, chef économiste du fonds d’investissement français Carmignac. Sur le long terme, le pari de l’administration Trump repose sur un espoir : celui d’un vaste mouvement de relocalisation industrielle. Une philosophie américaine héritée du XIXe siècle, époque où démocrates et républicains privilégiaient les tarifs douaniers pour protéger l’industrie manufacturière naissante. « Ils ont conscience qu’à court terme, les bénéfices seront marginaux. En revanche, les taxes couplées aux subventions favorisent très clairement la relocalisation de l’activité. Parallèlement, ils essaient d’avoir des accords avec plusieurs pays pour accéder aux réserves de métaux. Cela devrait être bénéfique à l’industrie manufacturière sur le long terme », estime Christopher Dembik.

Et ce, dans un seul objectif : réduire le déficit commercial des Etats-Unis. « Ces droits de douane seront plus ‘efficaces’ que ceux du premier mandat parce que l’ensemble des pays devraient être touchés. Nous n’assisterons donc pas aux phénomènes de déviation commerciale qui ont par exemple permis à la Chine de continuer à exporter vers les Etats-Unis via le Vietnam et le Mexique. Ce sera efficace mais à un coût extrêmement élevé pour l’économie américaine », analyse Raphaël Gallardo.

Automobile : flambée des coûts pour le neuf, opportunité pour l’occasion

Tandis que l’industrie sidérurgique américaine se félicite de la nouvelle vague protectionniste, le secteur automobile, lui, encaisse de plein fouet la hausse des coûts des matières premières. D’après le magazine économique Forbes, la quasi-totalité des véhicules neufs sont composés d’acier à hauteur de 54 % de leur poids moyen, ainsi que de 12 % d’aluminium. Bientôt confrontés à des coûts de production en hausse, les constructeurs doivent aussi composer avec un marché fragilisé par une baisse de la confiance des consommateurs. En février, celle-ci a enregistré sa plus forte chute depuis 2021, un signal inquiétant pour un secteur où l’achat d’un véhicule représente une décision financière majeure. Et ce, au profit des voitures d’occasion dont le prix moyen a chuté de 3,3 % au cours de l’année écoulée. Pour Forbes, « la baisse de confiance des consommateurs incitera probablement la Fed à accélérer les ajustements de taux, et par conséquent, à stimuler les ventes de voitures d’occasion ».

Mais les constructeurs automobiles n’ont pas dit leur dernier mot. A l’instar du premier mandat de Donald Trump, les entreprises américaines pourraient, sur le long terme, mettre en place des stratégies de contournement des taxes. « En 2022, les revenus liés aux tarifs douaniers à l’égard de la Chine ont atteint un montant record. L’année d’après, cela s’est effondré pour la simple et bonne raison que les entreprises ont contourné ces taxes. Il est donc très difficile de modéliser l’impact exact de ces droits de douane », explique Christopher Dembik. Mais pour le conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet Asset Management, une certitude demeure : le 2 avril, une « très mauvaise nouvelle » devrait être annoncée.