June 9, 2025

Dessalement : Ce qui fait du Maroc un cas unique

La Vie Eco

Le début du dessalement date des années 70, le savoir-faire dans le domaine a été largement amélioré. Le Royaume présente quatre expériences, avec différentes combinaisons de composantes : financement, réalisation, gestion et énergie.

Sommes-nous face à un modèle marocain en matière de dessalement ?

À ce stade, on peut déjà parler d’une esquisse de modèle. À travers quatre projets de dessalement, le Maroc offre quatre expériences différentes. Le tout premier modèle de dessalement à grande envergure, mené dans le cadre d’un partenariat public-privé et piloté par le ministère de l’Agriculture, alors chapeauté par l’actuel Chef du gouvernement, est la station de dessalement d’Agadir. Fruit d’une mutualisation des efforts entre le ministère et l’ONEE, cette unité de dessalement, en plus d’alimenter le Grand Agadir en eau potable, permet d’irriguer 15.000 hectares de terres agricoles. La ville souffrait déjà d’une pénurie d’eau. Le projet l’a définitivement épargnée. Et au niveau agricole, le projet a permis d’éviter, à terme, la perte de près de 9 milliards de dirhams en valeur ajoutée et 3 milliards de dirhams en capital et de préserver plus de 1 million d’emplois par an. Pour un coût relativement élevé, entre 10 et 11 dirhams le mètre cube, la station affiche une capacité de production annuelle de 275.000 m³ d’eau par jour, dont 150.000 m³ destinés à l’eau potable, le reste est dédié à l’irrigation. Un projet d’extension est actuellement en cours et sa capacité sera portée à 400.000 m³ par jour à l’horizon 2026. Le coût de production devrait être revu à la baisse à mesure que le programme des énergies renouvelables avance. En parallèle, le Maroc met à profit de nouvelles technologies dans le domaine pour réduire le coût énergétique du dessalement. C’est dans ce sens que le Royaume a fait appel à une technologie américaine développée par Energy Recovery. Cette dernière avait annoncé, en août dernier, la signature d’un contrat pour la fourniture de son échangeur de pression «PX Pressure Exchanger» aux projets de dessalement par osmose inverse de l’eau de mer au Maroc, pour un montant total d’environ 270 millions de dirhams. Ces commandes devraient être honorées avant la fin de l’année. La technologie PX, est-il précisé, peut réduire la consommation d’énergie dans le dessalement jusqu’à 60% et offre le coût de cycle de vie le plus bas de tous les dispositifs de récupération d’énergie du marché.

Groupe OCP, le joker
La deuxième expérience en matière de dessalement est développée par le Groupe OCP, qui vient de créer une entité dédiée, OCP Green Water. Depuis qu’elle a pris les affaires en main au lendemain des élections du 8 septembre 2021, l’équipe Akhannouch s’est efforcée à effacer les frontières entre les secteurs privé et public. Le développement du pays est une affaire de tous. C’est une vision intégrée dans les deux réformes qu’il vient d’engager, l’enseignement et la santé. C’est aussi une donnée intégrante du programme de l’eau. L’exemple le plus probant de cette synergie entre les deux secteurs est la stratégie de dessalement. Les grandes stations en activité ou en cours de réalisation sont toutes le fruit d’un partenariat public-privé. Le cas des projets développés par le groupe OCP, une entreprise publique, est un modèle à part. Sa station de Jorf Lasfar, avec une capacité initiale de 15 millions de m3, était dimensionnée pour répondre aux besoins industriels de l’office. Aujourd’hui les travaux d’extension menés depuis devraient lui permettre de finir l’année avec une capacité installée de 200 millions de m3. À terme, l’objectif est d’installer une capacité annuelle extensible à 560 millions de m3 par an. Ainsi, cette petite usine destinée initialement à couvrir les besoins du groupe en eau à usage industriel est devenue, avec la succession des années de sécheresse, un élément central dans la stratégie nationale de l’eau. OCP Green Water, avec sa station de Jorf Lasfar, répond aujourd’hui aux besoins des villes de Settat, El-Jadida et la partie sud de Casablanca. Elle fournit déjà la métropole avec 60 millions de m3 par an. Elle devra alimenter bientôt les villes de Khouribga. Le groupe vient d’ailleurs de signer un accord de prêt avec la SFI de 108 millions de dollars pour la construction d’un pipeline de 219 kilomètres et d’une station de pompage pour transporter de l’eau depuis ses usines de dessalement de Jorf Lasfar jusqu’à cette ville.

Un deuxième projet a été construit à Safi et mis en service en août 2023. Équipée de technologies de pointe basées sur des blocs semi-modulaires, cette station produit l’équivalent de 60 millions de m3 par an, dont 40 millions de m3 sont destinés aux besoins industriels du groupe alors que les 20 millions restants alimentent actuellement la ville de Safi et, à terme, la région de Marrakech-Safi en eau potable, en plus de répondre également aux besoins d’irrigation dans cette zone. Le modèle énergétique adopté par le groupe fait en sorte que le coût de production de l’eau soit très réduit. Le prix de vente de l’eau potable produite par dessalement par l’OCP est de 5,8 dirhams le m³.
Un troisième projet est actuellement en cours à Laâyoune-Boucraâ pour une capacité annuelle de 7,5 millions de m³. Grâce à une combinaison de plusieurs facteurs, l’État, à travers cette entreprise publique, a pu répondre avec célérité, efficacité et à moindre coût aux besoins urgents en eau potable de plusieurs zones, dans une situation d’urgence extrême. C’est un modèle à part.

Un projet intégré
Le troisième cas d’exemple est la méga-station de dessalement de Casablanca. Cette usine va produire, d’ici fin 2026, quelque 200 millions de m³ d’eau par an. Cette capacité sera étendue à 300 millions de m³ vers mi-2028. La station sera alimentée entièrement par l’énergie renouvelable produite dans un parc éolien à quelque 1.400 km au sud, dans la région de Dakhla, à Bir Anzarane plus précisément. Le coût du m³ de l’eau, sortie de l’usine, sera de l’ordre de 4,5 dirhams. Fruit d’un partenariat public-privé et entièrement développée par une entreprise privée, cette station sera parmi les plus grandes unités de dessalement à l’échelle mondiale, avec une capacité de production répartie en 250 millions de m³ par an destinés à l’eau potable et 50 millions de m³ par an pour l’irrigation. Faut-il souligner, en passant, que selon une étude de l’ONU, «il existe aujourd’hui quelque 16.000 usines en activité dans le monde, mais seule une fraction d’entre elles produit plus de 100.000 mètres cubes d’eau par jour». Le Maroc en compte déjà deux. Pour finir, l’unité de dessalement de Dakhla, également fruit d’un partenariat public-privé, entre le ministère de l’Agriculture et des acteurs privés.
La station sera entièrement alimentée par un parc éolien de 60 MW pour une capacité de production annuelle de 37 millions de m³. C’est un projet de dimension moindre, mais qui est novateur. Il est, en effet, basé sur l’approche nexus eau-énergie-alimentation. Une unité de dessalement alimentée à 100% par l’énergie produite par un parc éolien intégré.
Le projet permettra d’étendre les superficies réservées aux cultures à haute valeur ajoutée et fortement créatrices d’emploi. Il contribuera en outre à augmenter les niveaux de production des primeurs sous-serres, mais aussi à préserver les ressources hydriques de la région.
Il permettra également la création d’un périmètre irrigué de 5.000 hectares, également intégré au projet, au sein d’une zone désertique dépourvue de ressources en eau. Le réseau d’irrigation, qui s’étendra sur 113 km avec un débit de 1 m³/s, devra jouer un rôle primordial dans la sécurisation de l’approvisionnement en eau d’irrigation pour l’agriculture.

Un modèle en construction
Sur les moyen et long termes, le projet ne manquera pas de favoriser la création de nouvelles opportunités de développement, grâce en particulier à l’extension des réseaux électriques. Nous sommes devant un projet dont l’objectif ne se limite plus à l’alimentation en eau potable et à l’irrigation, mais devant une expérience unique de transformation d’une zone désertique en une plaine agricole fertile.
Combinés, ces quatre projets donnent une certaine idée sur le modèle marocain de dessalement. Pour compléter, le programme de station de dessalement prévoit également des unités destinées exclusivement ou en partie à la production de l’hydrogène vert. Celle de Tan-Tan, dont l’entrée en service est programmée pour 2027, est un premier exemple. Ce qui fera sans doute du Maroc un cas unique en la matière.

Ce qui est intéressant à relever dans le programme de dessalement, c’est qu’il s’agit vraiment d’un modèle marocain. Au-delà de l’imbrication public-privé dans la logique d’investissement, de déploiement et d’exploitation des projets, il intègre également la composante énergétique, avec une tendance ferme vers la décarbonation. Développant son propre modèle, le programme de dessalement adopté par le Maroc lui permettra d’atteindre une capacité de production annuelle totale de plus de 1,7 milliard de m3 d’eau de mer dessalée d’ici 2030 et de 1,98 milliard de m³ d’ici 2045. Tous les projets de stations de dessalement à venir combinent d’ailleurs les deux composantes, eau potable et irrigation.
À l’exception toutefois de cette station qui va être mise en service à partir de 2030 à Boujdour, dont la totalité de production, soit 60 millions de m3 par an, sera dédiée entièrement à l’agriculture.