June 8, 2025

Déficit commercial. Comment retrouver notre compétitivité ?

Challenge.ma

Abdelaziz Bouabid

Depuis quelques années, le pays accuse un déficit commercial chronique, lié en partie à des facteurs conjoncturels… mais aussi à des problèmes de compétitivité que compte réparer la feuille de route ambitieuse déployée par l’exécutif qui se dit prêt à transformer l’économie nationale pour monter en puissance. Cela suffira-t-il à éviter la Bérézina pour notre commerce extérieur ?

Promotion du produit national, création de nouveaux postes d’emploi, soutien fort à l’innovation, simplification des réglementations, baisse des prix de l’énergie, amélioration des infrastructures, investissements dans les technologies de demain… si la nouvelle feuille de route du commerce extérieur 2025-2027 visant à stimuler les exportations, ne cache pas de grosses ambitions pour combler un déficit commercial trop grand, on peut néanmoins s’interroger sur les résultats attendus de cette nouvelle politique. Dans quelle mesure les exportateurs marocains, armés du soutien institutionnel promis par les réformes, auront-ils les coudées franches et surtout la possibilité d’ inverser la tendance pour effacer ou du moins réduire les vulnérabilités économiques liées au commerce extérieur ?

La feuille de route expliquée de long en large par Aziz Akhannouch a dévoilé une  nouvelle approche qui s’étale sur les cinq prochaines années, centrée autour des 3 objectifs stratégiques que sont la création de quelque 76.000 postes d’emplois nouveaux, l’élargissement de la base des exportations à travers la création chaque année de 400 nouvelles sociétés d’export et la promesse de réalisation de 84 milliards de dirhams supplémentaires dans le secteur de l’export.

Dans la foulée, l’assurance publique complémentaire à l’export qui sera lancée en juin 2025, vise à soutenir les entreprises marocaines exportatrices souhaitant se développer sur des marchés prometteurs mais jugés risqués. Cette garantie des pouvoirs publics à l’export est censée couvrir jusqu’à 7,5 milliards de dirhams d’exportations additionnelles par an : tel est l’objectif de ce dispositif d’assurance publique complémentaire à l’export.

Le Chef du gouvernement qui n’a pas oublié de rappeler que ce dossier est suivi de près par le Souverain, a souligné que le renforcement du commerce extérieur , notamment à travers la promotion des exportations nationales, est un levier essentiel de la croissance et du développement. Concrètement, la feuille de route du Commerce extérieur pour 2025-2027 est séquencée en six chantiers de réforme, dont les plus importants restent l’accélération de la digitalisation du commerce extérieur, la création de bureaux régionaux pour accompagner cette digitalisation et la promotion des exportations des secteurs de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire.

Disons-le tout de suite, les évolutions du commerce extérieur au Maroc ne sont pas pour l’instant encourageantes, les phases de récession endurées par l’économie nationale depuis quelques décennies ont toujours été propices à un rééquilibrage régulier de la balance commerciale, passant d’un solde déficitaire, dans une période donnée à un équilibre satisfaisant dans un autre exercice, mais depuis la crise du Covid, le déficit a du mal a être résorbé et selon les derniers chiffres rendus publics par l’Office des Changes, le déficit commercial du Maroc s’est aggravé de 16,9% pour atteindre 71,63 milliards de dirhams (MMDH) à fin mars 2025. Un constat révélé par la hausse des importations (+6,9 % à 187,7 MMDH) plus soutenue que celle des exportations (+1,5 % à 116,07 MMDH), portant le taux de couverture à 61,8 %, en repli de 3,3 points.

Plus préoccupant encore, le recours aux importations a explosé sur l’ensemble des catégories de produits, notamment les produits bruts (+27,6% à 9,36 MMDH), les produits alimentaires (+9,4 % à 23,94 MMDH), les biens de consommation (+8,7 % à 43,59 MMDH) et les équipements (+6,1 % à 43,04 MMDH).

Un petit baume au cœur néanmoins du côté des exportations, avec les performances des champions nationaux que sont les secteurs des phosphates et dérivés (+18,2 % à 20,3 MMDH), des extractions minières (+20,2 % à 1,38 MMDH), de l’aéronautique (+15% à 7,03 MMDH) et de l’agriculture et agroalimentaire (+0,8 % à 26,74 MMDH).

Malgré ces maigres performances, le tissu exportateur pourrait-il demain, redresser la barre ?

Dans un contexte international instable, marqué par des tensions géopolitiques et des perturbations commerciales ardues, la tâche sera d’autant plus rude que les nouvelles qui viennent du front ne sont pas bonnes. A commencer par le bras de fer entre l’Oncle Sam et les Chinois. Si les propositions avancées par l’exécutif sont intéressantes pour stimuler le commerce extérieur, cette feuille de route serait incomplète si elle ne tenait pas compte des bouleversements internationaux en cours et notamment la guerre commerciale entre l’Amérique de Trump d’un côté et la Chine (et l’Europe dans une moindre mesure) de l’autre. Les dangers que font peser sur l’économie Marocaine en particulier et sur celles des autres pays africains en général sont réels et il ne faudrait pas qu’on se réveille un jour avec une avalanche d’autres produits chinois qui viendraient attaquer de front les derniers bastions de la production nationale. N’oublions pas que la Chine qui reste la plus grande nation manufacturière du monde, produisant bien plus que ce que sa population consomme sur le marché intérieur affiche déjà un excédent commercial de près de 1 000 milliards de dollars, ce qui signifie qu’elle produit souvent ces biens à un coût bien inférieur à leur coût réel de production grâce à des subventions nationales et à un soutien financier de l’État, comme des prêts bon marché accordés aux entreprises favorisées.

Si les biens qu’elle exporte actuellement sont interdits d’accès aux États-Unis à cause de tarifs douaniers prohibitifs, les entreprises chinoises vont forcément les exporter vers d’autres pays, africains de préférence. Cela nuira sans aucun doute à nos entrepreneurs locaux qui fabriquent des produits concurrents, faisant peser ainsi une menace réelle sur le commerce extérieur et par conséquent sur les emplois et les salaires.

S’il peut sembler logique que le gouvernement protège le commerce extérieur national par des droits de douane élevés, une approche plus stratégique est nécessaire, axée sur des droits de douane ciblés et des investissements dans des secteurs à fort potentiel de croissance destinés à l’export.

Face à ces menaces, l’objectif de  diversifier les partenaires commerciaux, n’est pas un vain mot et ce n’est pas pour rien que la vision royale a fait de la façade Atlantique africaine un vecteur clé de l’avenir économique ( et politique) du royaume. Il suffit pour cela de renforcer notamment les échanges avec l’Afrique via la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf); surtout dans des secteurs porteurs , tels que l’agriculture durable, l’électronique et les énergies renouvelables et ce, au moment où l’infrastructure d’exportation commerciale est désormais disponible grâce à des projets stratégiques comme les ports de Tanger Med, Dakhla Atlantique et Nador West Med. Une vision royale qui considère la politique commerciale comme un moyen efficace de renforcer le soft power du royaume dans des secteurs clés de la souveraineté.

Dans ce nouveau contexte, le commerce extérieur ne peut plus se réduire aux chiffres de la balance commerciale . Il doit désormais constituer le cœur de la vision géopolitique et industrielle de toute nation . Nous pouvons retrouver des marges de manœuvre en privilégiant les échanges avec nos alliés économiques africains, en choisissant nos interdépendances avec certains pays européens tout en garantissant des chaînes d’approvisionnement fiables et diversifiées avec les partenaires les plus fiables, ce que fait déjà le Maroc.