Compétitivité industrielle : ce qu’Emmanuel Macron attend d’Ursula von der Leyen
Le Point
Paris dévoile sa vision d’une industrie européenne verte et protégée, avec des mesures chocs pour l’automobile, l’acier et la chimie. Un plan qui va faire grincer des dents les libéraux.
Emmanuel Berretta

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, accueillie par le président Emmanuel Macron à l’Élysée, le 28 janvier 2025. © Stevens Tomas / Stevens Tomas/ABACA
Emmanuel Macron avait quelques messages très précis à faire passer à Ursula von der Leyen. La présidente de la Commission doit présenter, mercredi à la mi-journée, sa « boussole pour la compétitivité européenne ». La France monte au créneau. Dans une note détaillée remise à la Commission européenne que Le Point a pu consulter, Paris dévoile sa vision du futur « pacte pour l’industrie propre » (Clean Industrial Pact), qui doit être publié par la commissaire Teresa Ribera en mars, avec les commissaires Stéphane Séjourné et Wopke Hoekstra. C’est la pièce clé du dispositif législatif de l’Union européenne pour relancer la compétitivité du Vieux Continent sans perdre de vue les objectifs climatiques.
L’exécutif français ne fait pas dans la demi-mesure. Au menu : trois plans d’urgence sectoriels musclés et une batterie de mesures protectionnistes qui risquent de faire tanguer les libéraux européens. Un document qui porte la marque du volontarisme industriel cher à Emmanuel Macron.
Six mesures chocs pour l’automobile
Premier chantier urgent : l’automobile. Face à l’offensive chinoise sur les véhicules électriques, Paris exige un « pacte automobile européen » comportant six mesures chocs. D’abord, l’obligation pour les grandes flottes professionnelles d’acheter des véhicules électriques « made in Europe ». C’est 58 % de la demande européenne. Paris souhaite aussi un dispositif temporaire d’aides à l’acquisition, éventuellement éligible aux financements européens via le Fonds social pour le climat. Le commissaire Stéphane Séjourné pousse aussi cette ligne, ce qui n’est guère surprenant.
Autre point sensible : l’assouplissement des pénalités CO2 pour 2025, mais uniquement pour les constructeurs démontrant un engagement clair vers l’électrification. Paris n’oublie pas les sous-traitants et maillons essentiels de la filière en réclamant un accès simplifié aux aides d’État. Une approche qui vise à préserver le tissu industriel européen tout en maintenant le cap de la décarbonation.
La sidérurgie sous protection douanière
Le document détaille ensuite une batterie de mesures défensives et d’avenir. Face à la concurrence internationale, la France exige un renforcement des outils de défense commerciale, particulièrement sur les composants à haute valeur ajoutée, et l’application de « mesures miroirs » pour garantir une équité réglementaire. L’innovation n’est pas oubliée : Paris pousse pour une digitalisation accrue, du design à la production en passant par le développement des véhicules connectés. La note demande la mise en place d’un comité d’experts chargé de suivre cette transformation.
Deuxième front : la sidérurgie. L’Élysée veut une mobilisation « complète et accélérée » des instruments antidumping. Le document réclame notamment un nouveau mécanisme de défense pour l’acier dès juin 2026 pour prendre le relais des mesures de sauvegarde actuelles jugées insuffisantes.
Chimie : sanctuariser les molécules stratégiques
Pour la chimie, troisième secteur critique, Paris propose la création d’un « Chemical Critical Act ». Objectif : sanctuariser une liste de molécules stratégiques indispensables aux chaînes de valeur européennes.
La France tire la sonnette d’alarme sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), pierre angulaire de la stratégie climatique européenne. Pour Paris, le dispositif actuel comporte des failles majeures qu’il faut corriger d’urgence. Aujourd’hui, si un producteur étranger d’acier veut exporter vers l’Europe, il doit payer une taxe carbone à la frontière européenne. Mais, s’il transforme d’abord cet acier en pièces automobiles avant de les exporter vers l’Europe, il échappe à cette taxe. C’est ce que l’on appelle le secteur « aval » – la transformation du produit brut.
Étendre dès maintenant la taxe carbone aux frontières
La France propose donc d’étendre la taxe carbone non seulement aux matières premières comme l’acier, mais aussi aux produits transformés comme les pièces automobiles. Sans cette extension, le MACF (CBAM selon l’acronyme anglais) risque de pénaliser la production européenne de produits finis, qui, elle, paie déjà pour ses émissions de carbone. Cette proposition reflète une souffrance majeure : si l’Europe taxe l’acier brut mais pas les produits en acier, elle risque de voir disparaître ses propres industries de transformation au profit de pays sans contraintes environnementales.
La note française s’attaque aussi à un sujet explosif : la compétitivité des exportations européennes. Paris réclame le maintien partiel des quotas gratuits de CO2 pour les produits destinés à l’exportation, une demande qui risque de faire grimer des dents les défenseurs de l’environnement.
Éviter les contournements trop faciles
Dans le document, la France exige également un arsenal renforcé contre les pratiques de contournement. Actuellement, un problème majeur a été identifié : les industriels étrangers peuvent facilement contourner le MACF en réservant spécifiquement leur production la moins polluante pour le marché européen, tout en continuant à produire de manière très polluante pour le reste du monde. C’est ce que l’on appelle le resource shuffling.
Pour contrer cette pratique, Paris propose une solution radicale : appliquer par défaut un taux moyen d’émissions de CO2 à toutes les importations, sauf si l’entreprise peut démontrer que l’ensemble de sa production, et pas uniquement celle destinée à l’Europe, respecte des normes environnementales élevées. Un enjeu crucial pour l’efficacité du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières alors que l’Europe fait figure de pionnière mondiale dans ce domaine.
Une « préférence européenne » dans les marchés publics
Plus radical encore, le texte plaide pour une « préférence européenne » assumée dans les marchés publics, une proposition qui s’inscrit dans le sillage du rapport Draghi mais qui promet des débats houleux avec les États membres nordiques.
On apprend, dans cette note, que « les autorités françaises soutiennent les propositions de l’Allemagne pour orienter la demande européenne vers des productions au contenu environnemental performant, notamment sur les produits « de base » , afin de donner une visibilité maximale sur la demande en produits bas carbone fournis aux installations de production européennes ».
Donner un avantage aux productions locales propres
Pour atteindre ces objectifs, Paris propose d’utiliser deux leviers réglementaires existants : le règlement sur l’écoconception des produits et celui sur les produits de construction. L’idée est d’exploiter au maximum ces textes pour favoriser les productions européennes respectueuses de l’environnement.
À plus long terme, la France dessine une feuille de route ambitieuse jusqu’en 2026. Elle propose un ensemble de nouvelles lois pour soutenir à la fois la transition écologique et la compétitivité industrielle. Au cœur de ce dispositif : un « accélérateur de la décarbonation industrielle », nouveau texte législatif qui viserait à accélérer la transformation verte de l’industrie européenne.
Pour être plus concret, l’objectif est double : d’une part, renforcer les exigences environnementales sur le marché européen pour donner un avantage aux productions locales plus vertueuses ; d’autre part, créer un cadre légal facilitant les investissements des entreprises dans leur décarbonatation.
Les plans européens, une longue histoire
Pour Emmanuel Macron, l’enjeu est double. Il s’agit non seulement de protéger l’industrie européenne, mais aussi de démontrer que la transition écologique peut rimer avec la création d’emplois. Un pari risqué alors que la désindustrialisation continue de menacer plusieurs régions françaises. Reste à voir si Ursula von der Leyen reprendra ces propositions à son compte.
Cette offensive française s’inscrit dans une longue tradition de plans industriels européens. Le premier du genre était le plan Davignon de 1977 visant à restructurer l’industrie de l’acier en Europe. En 1983, le programme Esprit visait à rattraper le retard sur les États-Unis et le Japon en matière d’informatique. Cela fait écho aux ambitions actuelles face à la Chine sur les véhicules électriques.
Le rapport Bangemann de 1994 était un document visionnaire qui proposait un plan d’action pour développer les infrastructures numériques en Europe à travers dix applications prioritaires : télétravail, enseignement à distance, réseaux universitaires, services aux PME, gestion du trafic routier, contrôle aérien, réseaux de santé, marchés publics électroniques, services administratifs et autoroutes urbaines de l’information. Le rapport plaidait pour une libéralisation du secteur et le rôle moteur du marché, refusant une approche dirigiste et les subventions publiques. Il exigeait un cadre réglementaire harmonisé au niveau européen. On notera que l’Europe est tout de même passée à côté puisqu’aucun champion numérique n’a émergé de son marché.
Au fond, le plan Airbus est le seul exemple réussi de politique industrielle européenne, qui montre comment l’Europe peut réussir face à la concurrence américaine quand elle unit ses forces. Mais le plan Airbus ne doit rien à la Commission européenne. Il repose sur un accord entre États qui a donné naissance au consortium Airbus Industrie en 1970.