June 8, 2025

Comment le Maroc prépare le terrain pour une taxe carbone socialement acceptable

Hespress Français – Actualités du Maroc

Comment le Maroc prépare le terrain pour une taxe carbone socialement acceptable

Hicham Oukerzaz

Avec l’appui de l’Union européenne et de la Coopération allemande (GIZ), le Maroc lance une étude fondée sur les sciences comportementales pour analyser les conditions de succès d’une fiscalité verte. Objectif : concevoir une taxe carbone à la fois efficace, soutenable et acceptée par les citoyens comme par les entreprises.

Dans un contexte international où la lutte contre le changement climatique impose de nouvelles responsabilités fiscales, le Maroc affine sa stratégie environnementale. L’introduction d’une taxe carbone est désormais au cœur des réflexions menées par les autorités, avec l’appui de partenaires internationaux. Mais conscient des risques d’impacts sur le pouvoir d’achat et la compétitivité économique, le Royaume mise sur une approche fondée sur les sciences comportementales pour anticiper les réactions du public et des entreprises. Une méthode innovante qui pourrait façonner une fiscalité verte mieux acceptée, et potentiellement plus efficace.

L’étude comportementale au service d’une fiscalité verte

L’initiative s’inscrit dans le cadre du projet « Transition juste », financé par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique (BMZ) et l’Union européenne, et mis en œuvre par la GIZ en partenariat avec les ministères marocains de l’Économie et de la Transition énergétique. Ce projet vise à promouvoir une politique climatique équitable et socialement soutenable, notamment à travers la décarbonation de l’industrie et la mise en place d’incitations économiques adaptées.

L’étude en cours se concentre sur les conditions de succès d’une fiscalité environnementale, en particulier d’une taxe carbone, à travers le prisme des sciences comportementales. Ces dernières analysent les biais cognitifs, les barrières psychologiques et les dynamiques sociales qui influencent la manière dont les individus et les organisations réagissent à des politiques publiques. Appliquée à la fiscalité environnementale, cette approche doit permettre de mieux comprendre les résistances potentielles et d’élaborer un dispositif plus acceptable, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises.
L’objectif est d’identifier les leviers d’adhésion, les obstacles à surmonter, mais aussi les formes de communication les plus efficaces pour faire passer une mesure qui, malgré ses vertus écologiques, pourrait être perçue comme une charge supplémentaire, en particulier dans un contexte de pouvoir d’achat déjà sous pression. Les récents épisodes inflationnistes, notamment en 2022 et 2023, ont renforcé la prudence des autorités, qui souhaitent éviter tout risque de tensions sociales.

Défis d’acceptabilité et inspirations internationales

L’exemple sud-africain, seul pays africain à avoir mis en œuvre une taxe carbone à ce jour, est souvent cité comme référence dans les réflexions menées au Maroc. Mais les expériences menées ailleurs montrent également que la réussite d’une telle mesure repose sur sa capacité à s’adapter aux réalités locales, tant économiques que sociales. Le Maroc figure parmi sept pays africains à envisager sérieusement une taxe carbone, une initiative qui s’inscrit dans la perspective de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 45,5 % d’ici 2030, objectif déclaré lors de la COP22 à Marrakech.

Dans ce cadre, l’étude menée avec le soutien de l’UE et de la GIZ entend répondre à plusieurs questions clés : quels sont les groupes cibles à mobiliser ? Quels secteurs doivent être couverts en priorité ? À quel niveau fixer le taux de la taxe pour garantir son efficacité sans déclencher de rejet ? Et surtout, comment l’introduire de façon graduelle pour en limiter les effets pervers ?

Au-delà de ces éléments techniques, l’analyse explorera aussi l’intérêt de recourir à des méthodes d’influence douce, comme les « nudges », pour inciter les comportements vertueux. Ces outils peuvent consister, par exemple, à signaler les économies réalisées grâce à la sobriété énergétique ou à valoriser les bons élèves de la transition. L’efficacité d’une telle démarche dépendra largement de la manière dont elle sera perçue par la population : punitive ou incitative, juste ou arbitraire, opaque ou transparente.

L’autre défi majeur concerne les entreprises, en particulier les industries à forte intensité énergétique. Celles-ci devront investir dans des technologies de décarbonation pour rester compétitives, tout en absorbant le coût d’une nouvelle taxe. L’étude devra donc aussi proposer des dispositifs de soutien ou de compensation, afin que la transition ne soit pas synonyme de désavantage économique.

En définitive, le Maroc cherche à bâtir une fiscalité climatique capable de combiner efficacité environnementale, équité sociale et acceptabilité politique. Cette ambition suppose de dépasser les approches classiques et de s’appuyer sur les sciences humaines pour concevoir des politiques publiques plus fines et plus proches des réalités du terrain. Si l’expérience s’avère concluante, elle pourrait faire école sur le continent africain, où les enjeux climatiques se conjuguent à des contraintes sociales souvent très marquées.