Industrie pharmaceutique: l’arme discrète du Maroc
Longtemps restée dans l’ombre, l’industrie pharmaceutique marocaine connaît une montée en puissance silencieuse mais décisive. Soutenue par un écosystème robuste, des figures entrepreneuriales engagées et une vision stratégique axée sur la souveraineté sanitaire, elle s’impose aujourd’hui comme un acteur clé du continent.
Lamia Elouali
Discrètement, le Royaume dispose d’un écosystème pharmaceutique parmi les plus développés d’Afrique. Le secteur affiche des performances éclatantes. En 2023, il a enregistré un chiffre d’affaires record de 21 milliards de dirhams, en hausse de 50% sur un an. Le Maroc couvre désormais près de 80% de ses besoins en médicaments et se hisse au deuxième rang continental, juste derrière l’Égypte, note le magazine Jeune Afrique, qui consacre un dossier au sujet.
Derrière les bilans comptables, ce sont avant tout des histoires d’entrepreneurs, de familles visionnaires et de paris audacieux. L’histoire démarre en 1933 avec la création de Cooper Pharma, alors simple comptoir d’importation sous contrôle français. Lorsque Sanofi absorbe la maison mère française dans les années 1990, le laboratoire bascule dans le giron marocain. Cette dynamique s’accélère avec l’émergence de nouveaux acteurs: Sothema (1976), Galenica (1978), Pharma 5 (1985). L’État encadre la production dès 1965 et fonde en 1969 le Laboratoire national du contrôle des médicaments (LNCM), garantissant qualité et souveraineté. Aujourd’hui, sur la cinquantaine de laboratoires pharmaceutiques actifs au Maroc, une trentaine sont Marocains, dont trois champions qui s’activent à produire pour le Maroc, mais aussi pour le monde.
L’histoire de Pharma 5 débute avec un pari audacieux. En 1985, Abdallah Lahlou-Filali mise sur la fabrication locale de génériques, alors peu prisés. Un choix politique et social, qui répond à des besoins cruciaux: tuberculose, infections infantiles, maladies hydriques. L’État soutient l’initiative, conscient des enjeux de santé publique. Trente ans plus tard, c’est sa fille, Mia Lahlou-Filali, qui prend les rênes. À ses côtés, sa sœur Yasmine, docteure en pharmacie, supervise la formulation des médicaments.
Leur dernier pari? Une smart factory de 300 millions de dirhams, première usine pharmaceutique 4.0 d’Afrique, pour accompagner l’ambition royale de généralisation de la couverture santé universelle. Déjà présente dans 45 pays, Pharma 5 se classe 5e laboratoire sur le continent. «40% des médicaments exportés du Maroc sont les nôtres», rappelle Mia Lahlou-Filali. En 2024, l’entreprise obtient la première autorisation de mise sur le marché (AMM) pour un médicament à base de cannabis au Maroc.
De son côté, Cooper Pharma, dirigé par Ayman Cheikh Lahlou, joue la carte de la récupération stratégique. L’entreprise multiplie les partenariats: joint-ventures avec l’Inde, l’Europe, l’Arabie saoudite. Elle se spécialise dans des niches stratégiques (hormones, santé féminine) et s’appuie sur un réseau industriel transcontinental de neuf usines.
Plus institutionnelle mais tout aussi ambitieuse, Sothema, dirigée par Lamia Tazi, est cotée en Bourse depuis 2005. Elle est aujourd’hui leader marocain dans la fabrication d’anticancéreux biosimilaires. Ses innovations ont permis de réduire de 75% le coût de certains traitements. Pendant la pandémie, c’est elle qui conditionne le vaccin Sinopharm. Présente dans 45 pays, elle capitalise sur son expertise en injectables et sur une infrastructure de pointe pour consolider sa position sur le marché africain.
Abdelghani El Guermaï continue de faire entendre sa voix. Pionnier des années 1970, il reste un ardent défenseur de la production locale. Son laboratoire, Galenica, exporte dans toute la région: Libye, Algérie, Arabie saoudite.