Commerce extérieur: pourquoi les exportations marocaines vers l’Afrique ne décollent pas

Le port de Tanger Med sur le littoral méditerranéen du Maroc. (Photo d’illustration)
Les exportations marocaines vers l’Afrique ont progressé à un rythme lent en comparaison avec les autres zones géographiques au cours de la dernière décennie. Interrogé par Le360, Nabil Boubrahimi, enseignant universitaire et spécialiste en commerce international, avance plusieurs facteurs pour expliquer cette atonie. Explications.
Les exportations marocaines vers l’Afrique progressent certes au fil des années, mais à un rythme lent en comparaison avec les expéditions vers les autres zones géographiques. Selon les données de l’Office des changes, au cours des dix dernières années (2015-2024), elles sont passées de 21,39 milliards de dirhams (MMDH) à 31,62 MMDH, en hausse de 47,82%.
Pendant ce temps, les exportations marocaines se sont accrues de près de 84% vers l’Asie, s’élevant à 46 MMDH en 2024, ont plus que doublé vers l’Amérique (près de 117% à 39,57 MMDH) et vers l’Europe (117,39% à 325,82 MMDH) et ont été presque quintuplées (478,23% à 4,7 MMDH) vers l’Australie.
Pour expliquer cette lenteur des exportations marocaines vers l’Afrique, Nabil Boubrahimi, professeur d’économie à l’université Ibn Tofail de Kénitra et spécialiste en commerce international, interrogé par Le360, avance plusieurs facteurs.
Il s’agit en premier lieu d’une contrainte logistique, indique-t-il. En fait, explique-t-il, à défaut de connexions maritimes directes entre le Royaume et les pays africains, les marchandises marocaines sont obligées de faire un détour par les ports européens pour être acheminées vers leur destination en Afrique. Ces escales constituent des pertes sèches pour les exportateurs marocains en termes de temps et de coût, relève-t-il.
Ce qui nécessite le lancement de lignes maritimes directes avec des ports dans certains pays africains comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, insiste-t-il. Ces lignes devront instaurer des corridors vers d’autres pays, notamment enclavés, comme le Niger et le Mali, ajoute-t-il.
Les exportations marocaines vers les cinq continents en 2015 et 2024 en dirhams. (Source: Office des changes).
Continent | 2015 | 2024 |
---|---|---|
Afrique | 21.391.018.321 | 31.621.239.001 |
Amérique | 18.239.621.507 | 39.578.805.709 |
Asie | 25.010.756.747 | 46.013.477.958 |
Australie | 812.835.462 | 4.700.112.419 |
Europe | 149.877.388.449 | 325.825.435.402 |
Il souligne également l’importance d’une collaboration avec les pays africains dans le cadre de l’Initiative royale pour l’Atlantique et le rôle crucial que jouera le port Dakhla Atlantique, en cours de construction, dans la fluidification des échanges commerciaux avec ces pays.
S’agissant du transport routier, ce spécialiste en commerce international note qu’il est parfois plus cher que le transport par bateau qui présente l’avantage de charges plus importantes, expliquant que le coût baisse avec la massification.
L’Afrique peu couverte par l’assurance à l’export
Le deuxième facteur qui explique l’évolution lente des exportations marocaines vers l’Afrique, selon notre interlocuteur, est le manque d’assurance à l’export. «Les pays africains sont des marchés à risque pour les compagnies d’assurance. Ils ne sont pas visibles sur la cartographie des risques», note-t-il, soulignant que le plus grand problème auquel sont exposés les exportateurs marocains en Afrique est le non-paiement.
En fait, une étude de benchmark international menée par le ministère de l’Industrie et du Commerce, en partenariat avec l’Association marocaine des exportateurs, pour élaborer un dispositif d’assurance publique complémentaire à l’export, a révélé que les exportateurs marocains concentrent leurs activités sur des zones géographiques à faible risque, principalement en Europe et dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
À noter que ce nouveau dispositif d’assurance à l’export sera lancé début juin 2025. Conçu en concertation avec l’ensemble des acteurs publics et privés de l’écosystème de l’assurance à l’export, ce dispositif sera déployé dans une première étape pour couvrir les risques commerciaux et politiques pour les acheteurs publics et privés issus de 15 pays jugés stratégiques en Afrique.
En plus de ces deux principales raisons, Nabil Boubrahimi évoque d’autres facteurs. Il s’agit notamment de la non-maitrise par les exportateurs marocains des circuits de distribution et de vente dans les marchés africains. En effet, signale-t-il, «ne disposant pas de leurs propres circuits, ils sont obligés de passer par les circuits déjà implantés depuis des années en Afrique et détenus par d’autres acteurs».
Connaissance du marché, encadrement juridique, bureaucratie…
Il ajoute aussi que certains exportateurs marocains ne prennent pas les précautions nécessaires sur le plan juridique, les appelant à veiller à prévoir des contrats bien étudiés pour pouvoir préserver leurs intérêts en cas de litige. Globalement, il insiste sur une bonne connaissance du marché pour ne rien laisser au hasard. «On doit tout préparer sur le terrain et non pas seulement sur papier», martèle-t-il.
L’économiste pointe aussi la bureaucratie et les taxes. En fait, indique-t-il, certains pays signataires de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) n’appliquent pas les engagements pris dans ce cadre en ce qui concerne la suppression des droits de douane, sachant que l’entrée en vigueur de cet accord doit permettre de supprimer ces droits sur 90% des produits dans un premier temps et 97% à terme.
Cet accord de libre-échange est d’autant plus important que les droits de douane appliqués par les pays africains sont en général élevés, souligne-t-il. «Pour en profiter pleinement, il est primordial d’activer tous les leviers: transport, assurance, connaissance approfondie du marché, encadrement juridique des contrats, maitrise des circuits de distribution… », conclut-il.