June 8, 2025

Dollar, yuan, euro… Derrière la guerre commerciale, cette autre bataille qui fait rage

Le billet vert a perdu près de 10 % de sa valeur face à l’euro depuis le début de l’année. Simple nervosité des marchés ou stratégie bien pensée de Washington ?

Béatrice Mathieu de L’Express
Des billets de 100 dollars et de 100 yuans, dans un montage photo réalisé le 8 avril 2025

Des billets de 100 dollars et de 100 yuans, alors que les Etats-Unis et la Chine se livrent une partie d’échecs sur les monnaies.

Et si la confrontation sino-américaine abordait de nouveaux rivages ? Après les droits de douane et le commerce, c’est la finance et plus particulièrement les monnaies qui entrent dans une zone de turbulence, relançant l’hypothèse d’une nouvelle guerre des devises. Dollar contre yuan chinois, avec l’euro au milieu du champ de bataille. Depuis le début de l’année, le billet vert s’est déprécié par rapport à la plupart des grandes devises. Face à l’euro, il a perdu près de 9 % de sa valeur.

On peut faire une triple lecture de cette glissade. La première est la plus évidente : l’accès de fragilité du billet vert traduit d’abord l’inquiétude de tous les investisseurs internationaux face à la stratégie économique erratique et opaque de Donald Trump. L’économie américaine risque d’être au premier rang des victimes de la guerre commerciale lancée par le président américain : choc sur l’inflation, baisse du pouvoir d’achat, dégringolade de la Bourse, déstabilisation d’une grande partie des industriels, notamment de la Tech dont les chaînes d’approvisionnement sont éclatées dans le monde entier. Une inquiétude sourde qui mine la confiance dans tout l’édifice. Si les Etats-Unis vivent sans souci sur un monceau de dette depuis des décennies, c’est grâce au statut de monnaie de réserve du dollar. Or, si la foi dans le système est ébranlée, pourquoi les fonds de pension japonais, les assureurs européens, ou les banques centrales de toute la planète continueraient-ils à accumuler des obligations d’Etat américaines libellées en dollar ? A la moindre défiance, la punition serait immédiate, avec une difficulté croissante de l’Amérique à financer ses déficits et donc une remontée des taux d’intérêt à long terme.

La deuxième lecture est plus politique. Donald Trump et son équipe, notamment Scott Bessent, le secrétaire d’Etat au Trésor, et Stephen Miran, le chef des conseillers économiques, dénoncent depuis des mois une surévaluation du dollar qui pénaliserait, pensent-ils, les exportateurs américains. Ils rêvent ainsi de conclure, comme le fit Ronald Reagan en septembre 1985, un « deal » avec les pays occidentaux, lesquels accepteraient une appréciation de leur devise face au dollar. L’accès de faiblesse du billet vert pourrait ainsi être la première étape de ce plan qui se concrétiserait par la signature d’un accord international à Mar-a-Lago, la résidence de vacances de Donald Trump.

La troisième lecture est davantage géostratégique. En silence, Pékin pilote finement depuis des mois une dévaluation de sa propre monnaie. Le yuan est ainsi tombé à son plus bas niveau depuis 2010 face au dollar et à l’euro. L’objectif : rendre les produits chinois encore plus compétitifs, alors que Xi Jinping, le président chinois, a absolument besoin que le moteur des exportations fonctionne à plein régime pour continuer à faire tourner ses usines. Face à l’offense monétaire de Pékin, Washington aurait rétorqué en faisant glisser aussi sa monnaie.

Une grande partie d’échecs dans laquelle l’euro est pris en étau. La devise européenne s’est appréciée à la fois face au dollar et au yuan chinois. Quels sont les effets de ce mouvement de bascule ? Les optimistes – et orthodoxes – pourront toujours dire que cette appréciation a le mérite d’alléger la facture de nos produits importés. Un bon point pour l’inflation. Les grincheux pointeront, eux, une mauvaise nouvelle pour la compétitivité des exportateurs européens. La vérité est sans doute entre les deux. Dans cette nouvelle bataille sino-américaine, l’euro regarde surtout passer les trains.