Loïc Jaegert-Huber: «Les entreprises marocaines peuvent transformer la contrainte carbone en levier stratégique de compétitivité»


Loïc Jaegert-Huber, Directeur Régional d’ENGIE Afrique du Nord et Président de la Commission Energies propres de l’ASMEX
Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) menace d’impacter de plein fouet certains secteurs industriels marocains. Loïc Jaegert-Huber partage sa vision sur les défis et opportunités liés à cette transition. Pour lui, les secteurs vulnérables doivent accélérer leur décarbonation pour survivre à la taxe carbone et les industriels doivent agir maintenant.
Challenge : Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) va entrer en vigueur dans moins d’un an. À votre avis, dans quelle mesure les industriels marocains sont-ils préparés à cette échéance ? Quelles sont les principales difficultés qu’ils rencontrent ?
Loïc Jaegert-Huber : La prise de conscience est réelle, mais le niveau de préparation reste hétérogène. Certains grands groupes ont déjà entamé leur transition, mais beaucoup de PME, notamment dans les secteurs moins exposés historiquement, peinent encore à intégrer pleinement les exigences du MACF.
Les principales difficultés résident dans le manque de visibilité sur les données d’émissions, telles que la traçabilité, la mesure et le reporting, le coût initial des investissements bas carbone, ainsi que parfois l’absence de ressources internes formées aux enjeux carbone.
Challenge : En tant que Président de la Commission Energies propres de l’Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX), quelle est la position des industriels marocains face à cette taxe carbone ? Y a-t-il une prise de conscience générale de l’enjeu ou certains secteurs sont-ils plus en retard ?
L.J.H : À l’Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX), nous observons une montée en puissance de l’intérêt pour les sujets de décarbonation. Les secteurs directement touchés comme les engrais ou le ciment sont déjà en mouvement.
Mais les secteurs en «zone grise», qui seront concernés demain – comme le textile ou l’agro-industrie – doivent accélérer leur prise de conscience. L’enjeu n’est plus seulement environnemental, il devient commercial : préserver l’accès au marché européen (et au-delà) exige de réduire son intensité carbone.
Challenge : Quelles actions concrètes doivent entreprendre les entreprises marocaines pour réduire leur empreinte carbone avant l’entrée en vigueur de la taxe ? Existe-t-il des initiatives ou des programmes d’accompagnement pour les aider dans cette transition ?
L.J.H : Les entreprises doivent en priorité mesurer leurs émissions (scope 1, 2, 3), identifier les leviers de réduction à court terme, tels que l’efficacité énergétique, la substitution et le sourcing local, et intégrer la transition bas-carbone dans leur stratégie export.
Des programmes existent déjà, portés par l’ASMEX, l’AMDIE, ou encore avec le soutien de bailleurs internationaux. Mais il faut aller plus loin : renforcer les synergies public-privé, accélérer la labellisation bas-carbone et développer un accompagnement technique et financier ciblé.
Challenge : La taxe carbone pourrait-elle constituer une opportunité pour certaines entreprises marocaines, notamment celles qui investissent dans des technologies plus propres et durables? Comment ces entreprises peuvent-elles tirer parti de ce changement réglementaire ?
L.J.H : Absolument. La contrainte carbone peut devenir un levier stratégique. Les entreprises qui investiront aujourd’hui dans des technologies propres seront demain plus compétitives, plus résilientes, et mieux valorisées par leurs clients internationaux.
Le Maroc a un positionnement unique à jouer : grâce à son mix énergétique de plus en plus vert, il peut devenir une plateforme industrielle bas-carbone de référence entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient.
Challenge : Le MACF touchera d’abord cinq secteurs : fer et acier, aluminium, ciment, engrais, électricité et hydrogène, puis, à partir de 2027-2028, textile et agro-industrie. Quels secteurs industriels marocains sont les plus vulnérables et quelles mesures adopter ?
L.J.H : Les secteurs les plus vulnérables sont ceux fortement émetteurs, faiblement capitalisés ou très exposés à l’export, tels que les engrais, le ciment, le textile et l’agro-industrie.
Les mesures à adopter incluent des audits carbone pour établir une feuille de route claire, le recours à des énergies renouvelables et des PPA (Power Purchase Agreements) verts, ainsi que l’intégration de critères bas-carbone dans les choix logistiques, liés aux fournisseurs et aux processus.
Challenge : Les industriels marocains doivent décarboner leurs chaînes de valeur, nécessitant un soutien spécifique. Selon vous, comment un groupe comme ENGIE, avec son expertise en décarbonation, pourrait-il les accompagner et quel en serait le coût ?
L.J.H : ENGIE dispose d’un savoir-faire unique sur toute la chaîne de valeur de la décarbonation : solaire, éolien, gestion énergétique, infrastructures, hydrogène vert, réseaux de chaleur/froid, etc.
Nous accompagnons nos clients industriels en mode « partenariat long terme » : des solutions sur-mesure, des business models innovants, et une approche progressive pour maîtriser les coûts.
Il ne s’agit pas d’un coût, mais d’un investissement stratégique pour rester dans la course. Et ENGIE est là pour co-construire cette trajectoire.