Les conditions d’une vraie réponse européenne à Donald Trump
L’Express
Comment réagir au choc de la guerre économique déclenchée par le président américain ? Les réponses des deux coprésidents de La Fabrique de l’industrie.

« Seul le nucléaire est en mesure de constituer la base de la production », affirment Louis Gallois et Pierre-André de Chalendar, coprésidents de La Fabrique de l’industrie.
En moins de six mois, l’Europe a subi deux chocs de nature totalement différente mais qui ne peuvent la laisser sans réaction sous peine d’être effacée de l’Histoire : d’un côté, la publication du rapport Draghi qui décrit le décrochage de l’Europe et la menace d’une « lente agonie », de l’autre, la rupture qu’opère Donald Trump entre les deux rives de l’Atlantique.
Ces deux chocs appellent l’Europe et la France à un sursaut d’une ampleur sans précédent depuis l’après-guerre. Le rapport Draghi évoque au moins quatre priorités dont la traduction budgétaire est certainement lourde mais qui apparaissent incontournables.
La première, c’est la recherche et l’innovation. L’effort financier européen est significativement inférieur à celui des Etats-Unis (la France quant à elle plafonne à 2,2 % du PIB depuis plus de vingt ans, loin de l’objectif de 3 % fixé à Lisbonne). L’écart est encore plus massif sur la commercialisation des innovations : les Etats-Unis représentent 52 % du capital-risque mondial, la Chine 40 %, l’Europe 5 % !
La deuxième priorité, c’est l’énergie. La dépendance coûteuse de l’Europe mine sa compétitivité. L’électricité est la clé d’une énergie décarbonée. Seul le nucléaire est en mesure de constituer la base de la production, de desserrer l’étreinte en produisant une énergie décarbonée, pilotable, indépendante dont il faudra assurer la compétitivité à long terme. Les énergies renouvelables, intermittentes et imprévisibles ont leur place comme complément minoritaire mais pas comme substitut du nucléaire.
La troisième priorité est en lien avec l’exigence accrue de souveraineté. Celle-ci doit conduire à réduire les dépendances les plus critiques. Cela concerne certainement les matériaux stratégiques – on voit l’importance que Trump y attache – mais aussi, les technologies critiques. Le Japon engage un effort massif pour maîtriser les semi-conducteurs les plus avancés, l’Europe devra sérieusement y réfléchir. On a beaucoup parlé d’intelligence artificielle ou du quantique : il faudra vérifier que nous avons réellement réuni les moyens d’être dans la course. Enfin 78 % des achats de matériels de défense s’effectuent hors d’Europe. Si l’on veut construire une industrie de défense indépendante, la préférence européenne devient un impératif industriel et stratégique.
La quatrième priorité, ce sont les financements à risque (prêts ou capital). Les banques ne les fournissent plus, ou de moins en moins, et ils manquent en Europe. Le rapport Draghi prône l’unification des marchés financiers pour en accroître la profondeur : pourquoi pas ? Mais cela ne règle pas le problème qui résulte du fait que l’épargne européenne traverse l’Atlantique à la recherche de meilleurs rendements ou recherche la sécurité de ses placements en Europe. En France, c’est l’immobilier, l’assurance-vie en euros, les livrets d’épargne qui dominent. Comment les Etats peuvent-ils agir pour orienter cette épargne vers les actions – sur le coté et le non coté (essentiel pour les start-up) notamment – en limitant le risque pour les particuliers qui le souhaitent et en privilégiant les actions européennes ? C’est essentiel pour permettre à l’innovation et l’investissement productif de trouver leur financement.
Trump nous inspire une cinquième priorité en nous claquant la porte au nez à coups de tarifs douaniers et de menaces diverses qui pourraient toucher l’accès aussi bien aux technologies de pointe qu’au dollar. Pour trouver des alternatives, renforçons nos partenariats en Europe et allons chercher hors d’Europe de nouveaux partenaires : l’Amérique latine avec l’épineuse question de l’accord Mercosur, le Nigeria, le Congo, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud ou le Kenya, l’Asean, l’Inde, désormais puissance économique et stratégique. La Chine quant à elle est à la fois un acteur incontournable et un concurrent « systémique » ; n’en soyons pas absents tout en restant lucides et prudents. Des partenariats sont possibles sans ignorer les « menaces » américaines possibles : on l’a vu sur le nucléaire civil, on le voit sur la voiture électrique et les batteries. On ne peut pas exclure que les Etats-Unis et la Chine trouvent un compromis commercial. Il ne faudrait pas que nous soyons laissés « sur le bord de la route ».
L’Europe est à la croisée des chemins, elle doit agir, puissamment et rapidement. La France peut rassembler les pays les plus déterminés si elle-même se met en ordre de bataille et choisit clairement ses priorités. Vite ! Le temps nous est compté.