Face à l’inflation des droits de douane, l’OMC à Genève est démunie
TdG
La guerre commerciale ouverte par l’administration Trump aux États-Unis met à mal la vocation de l’Organisation mondiale du commerce à réguler les conflits sur les droits de douane.

La «raison d’être» de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est d’amener de la prévisibilité sur les droits de douane, mais l’offensive protectionniste de Donald Trump l’a jetée au «milieu du cyclone» sans qu’elle puisse agir, explique à l’AFP Cédric Dupont, professeur de relations internationales de l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève (IHEID).
Pourquoi l’Organisation mondiale du commerce est-elle mise à mal?
L’idée de base de l’OMC, qui est là pour garantir une certaine prévisibilité dans le commerce mondial, est ruinée par l’attitude de Donald Trump. Tout le monde commence à se dire: à quoi ça sert d’avoir investi autant de temps sur des négociations commerciales? Elle se retrouve un peu au milieu du cyclone. Les gens qui travaillent à l’OMC doivent se sentir bien démunis et un peu dépités par cette tournure des événements
Donald Trump avait déjà lancé des hausses de droits de douane pendant son premier mandat. Est-ce que l’OMC est mieux à même d’y faire face maintenant?
L’OMC est affaiblie depuis plusieurs années. Cet affaiblissement s’est accentué pendant la première administration Trump parce que le règlement juridique des différends a été paralysé par le fait que les juges de l’organe d’appel sont en nombre insuffisant (ndlr: leur nomination est bloquée par les États-Unis).
Les voies de recours n’existant plus, on ne peut pas aller au bout des procédures, alors qu’au début de la première administration Trump, il y avait toujours cette possibilité. L’OMC est maintenant encore plus démunie et ne peut plus régler les différends commerciaux impliquant les États-Unis. Ce que l’OMC avait de fort, c’était d’autoriser les représailles commerciales pour faire revenir ses membres dans le droit chemin. Cet encadrement semble avoir complètement disparu.
L’offensive américaine des droits de douane signifie-t-elle la fin du système commercial multilatéral?
La question de l’avenir du multilatéralisme dans le domaine commercial est clairement posée. Cela dépendra essentiellement non des États-Unis, mais des autres États. À quel point les autres États vont-ils continuer à travailler ensemble au sein de l’OMC?
Il peut y avoir un danger pour l’OMC, avec une spirale inflationniste de droits de douane, mais c’est peut-être aussi une opportunité pour les autres pays de montrer que ce n’est pas comme cela que les problèmes doivent être réglés. Mais si l’impulsion ne vient pas des États membres, l’OMC ne bougera pas. L’organisation elle-même a très peu de marge d’action, à la différence de beaucoup d’agences de l’ONU, comme l’Organisation mondiale de la santé, ou de la Banque mondiale et du FMI.
Les rivalités douanières ne sont pourtant pas des phénomènes nouveaux pour l’OMC…
Il y a toujours eu des menaces douanières. L’objectif de l’OMC est de faire en sorte que les tentations protectionnistes ne soient que temporaires. L’idée est de pousser les pays à suivre les règles pour maintenir la légitimité de l’organisation. Mais on ne sait pas si cela va vraiment se produire sous la seconde administration Trump: est-ce que l’on ne va pas s’éloigner pour toujours de certaines règles de l’OMC?
Donald Trump désengage les États-Unis d’organisations internationales. Faut-il s’attendre à un retrait américain de l’OMC?
Je parierais plutôt sur le fait qu’il ne le fera pas, car l’OMC ne coûte pas cher pour les États-Unis. Le budget global de l’OMC est ridiculement faible (environ 205 millions d’euros en 2024) par rapport à celui de l’OMS (3,4 milliards par an pour la période 2024-2025). Trump pourrait se dire que cela ne lui coûte pas grand-chose et, en plus, il peut se départir des règles et faire ce qu’il veut d’une certaine manière. L’OMC ne peut pas lui faire de mal, puisque l’organe d’appel est paralysé: il n’y a rien qui sera juridiquement contraignant. Je pense qu’il est assez à l’aise avec cette idée.