June 8, 2025

Intelligence artificielle : ce qu’il faut retenir (ou pas) de 2024

Le Point

Alors que l’IA s’invite dans tous les secteurs, que faut-il retenir des 12 derniers mois ? Voici notre sélection en pleine accélération technologique.

Guillaume Grallet

Une capture d'écran de Batalion, un court-métrage réalisé à 100 % par intelligence artificielle, supervisée par le réalisateur américain Dave Clarke.

Une capture d’écran de Batalion, un court-métrage réalisé à 100 % par intelligence artificielle, supervisée par le réalisateur américain Dave Clarke. © Dave Clarke

2024, année de l’intelligence artificielle ? Alors qu’Open AI vient d’annoncer un modèle d’intelligence artificielle baptisé « o3 » et capable de prendre le temps de réfléchir contre lui-même, ce qui laisse entrevoir ce moment encore hypothétique et surnommé intelligence artificielle générale (AGI, en anglais) au cours duquel la machine dépasse l’homme dans la quasi-totalité de ses fonctions cognitives, les douze derniers mois ont été riches en événements. Sélection des plus marquants.

D’abord voici cinq bonnes nouvelles :

  • Conception accélérée de médicaments et de matériaux

En 2024, le logiciel AlphaFold, développé par DeepMind, a fait faire de gros progrès à la biochimie en permettant la prédiction rapide de la structure tridimensionnelle des protéines à partir de leur séquence d’acides aminés. Cette avancée qui promet d’accélérer la recherche de nouveaux médicaments, tout comme de matériaux inédits, a fait l’objet d’une publication le 8 mai dans la revue Nature.

Le module de visualisation de la structure des protéines, de l’ADN, de l’ARN, des ligands et d’autres molécules, tout comme de leurs interactions, commence par un nuage d’atomes et converge progressivement vers la structure moléculaire la plus précise. Les créateurs d’AlphaFold, Demis Hassabis et John Jumper, ont par ailleurs été récompensés par le prix Nobel de chimie en 2024.

  • Prédiction des catastrophes naturelles

Des modèles, tels que Flood Hub de Google, ont été déployés dans 80 pays pour repérer et signaler les risques d’inondations. Ces systèmes analysent des données climatiques en temps réel, permettant des évacuations anticipées et la mise en place de mesures préventives, sauvant ainsi des vies et réduisant les dommages matériels.

Le chinois Huawei travaille également sur ce type de prédiction pour anticiper les catastrophes climatiques. Problème : lorsqu’il n’y a pas assez de données, comme ce fut le cas récemment à Mayotte, ce genre de modèle perd en efficacité.

Création de vidéos réalistes

De Runway AI à Stability AI en passant par Midjourney ou encore le chinois Kling AI : de plus en plus en plus de logiciels permettent, en échange d’un abonnement payant, de produire des vidéos réalistes en quelques minutes, ce qui pourrait bousculer la production de films et la création de publicité.

Mieux, à condition de travailler avec de bons historiens, de tels outils permettent de reconstituer, de façon extrêmement visuelle, des épisodes méconnus du passé. C’est ce à quoi s’est risqué le réalisateur américain Dave Clark, qui a réussi à faire revivre l’histoire du 320e bataillon de ballons de barrage, une équipe de soldats américains, qui s’est employée, le 6 juin 1944, à empêcher les attaques de l’aviation allemande à basse altitude, sur les plages du Débarquement.

  • Une agriculture optimisée par l’IA

L’intelligence artificielle est de plus en plus intégrée dans des systèmes agricoles. Par exemple, des drones équipés d’IA surveillent la croissance des cultures, identifient les besoins en eau et en engrais, et détectent les maladies à un stade précoce.

L’IA permet également d’avoir accès à une nouvelle cartographie du territoire comme on le voit à travers ce superbe programme baptisé Lidar HD. Ce que l’on y voit ? Poussé par l’IGN, ce programme vise la mise à disposition de données 3D relatives au sol et au sursol qui seront à la fois homogènes, riches, fiables et accessibles à tous.

  • Les intelligences artificielles prennent le temps de réfléchir

C’est une tendance amorcée par le nouveau modèle baptisé « o3 » présenté par OpenAI. S’il ne sera accessible à tous qu’à partir de janvier, cet outil d’IA a pris la mesure de « penser contre lui-même » avant de donner son résultat. L’utilisateur pourra notamment choisir entre trois niveaux de réflexion : faible, moyen ou élevé. Plus le niveau de réflexion est élevé, plus le modèle peut prendre de temps pour formuler une réponse. Certes, cela peut entraîner un temps de latence de quelques secondes. Mais, d’après le New Scientist, o3 a également obtenu un score record de 75,7 % à l’Abstraction and Reasoning Corpus, un test de raisonnement reconnu de l’IA, mais n’a pas encore satisfait aux exigences du « Grand Prix » qui requiert une précision de 85 %. Sans les exigences de coût de calcul imposées par le test, le modèle atteint également un nouveau record de 87,5 %, quand, nous les humains obtenons, en moyenne, un score de 84 %.

Et côté menaces, que faut-il surveiller ?

Cette accélération des progrès en IA s’accompagne de nouvelles plus inquiétantes. Parmi les menaces de 2026 figurent :

  • Le non-respect de la propriété intellectuelle

Les IA génératives, comme les modèles de deepfake, exploitent parfois des œuvres protégées sans consentement des auteurs. Par exemple, des vidéos manipulées de personnalités publiques ont circulé, portant atteinte à leur image et soulevant des questions juridiques sur la protection des droits d’auteur. Résultat, les process se sont multipliés ces derniers mois à l’encontre des grands acteurs du secteur d’Open AI à Perplexity.

Désinformation taille XXL

Les deepfakes ont atteint un niveau de réalisme sans précédent, facilitant la diffusion de fausses informations. C’est parfois pour le meilleur. Ainsi, le film Indiana Jones ou le cadran de la destinée présente un Harrison Ford rajeuni de 40 ans dans une scène de lutte dans un train.

Mais alors, qu’un Terrien sur deux était appelé aux urnes en 2024, des vidéos truquées de candidats ont été partagées massivement cette année. « Aujourd’hui, les désinformations se propagent à grande vitesse sur Internet, car les contenus faux, généralement plus attractifs que les vrais, sont encouragés par les modèles économiques des grandes plateformes numériques qui reposent sur l’attention des internautes », explique ainsi l’Académie des technologies qui vient de dévoiler une liste de recommandations pour renforcer notre esprit critique face aux fake news. Parmi celles-ci, celle d’« ajouter, dans le Code de la défense, un dispositif de sanctions des opérations de désinformation portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation et orchestrées par des puissances étrangères ».

  • La menace de perte d’emplois accélérée par l’automatisation

L’IA a automatisé des tâches dans divers secteurs, entraînant des suppressions d’emplois. Même crainte du côté des conducteurs de taxis ou de camions. En février 2024 à San Francisco, des manifestants s’en sont pris à un robot taxi. Un grand nombre de métiers sont concernés.

Dans l’industrie du doublage, par exemple, des voix synthétiques générées par IA remplacent des comédiens, menaçant des milliers d’emplois. Et, en juin, la Société française des traducteurs (SFT) a publié une prise de position alertant sur les conséquences de l’IA générative sur les métiers de la traduction.

  • l’exploitation de l’IA à des fins de surveillance

La tentation est forte pour les régimes autoritaires de recourir à l’IA, pour mieux surveiller et réprimer les opposants. Des systèmes de reconnaissance faciale identifient des manifestants, menant à des arrestations arbitraires.

Certes, ces mesures ne sont pas les mêmes dans la totalité des pays, mais, en 2024, la Chine a continué d’améliorer ses systèmes de surveillance basés sur l’IA, notamment en développant des technologies capables de prédire, à partir de gigantesques bases de données, les comportements des citoyens, comme de les noter.

  • Dans cette course folle, les nouveaux acteurs auront-ils encore leur mot à dire ?

Le besoin en puissance de calcul renforce la menace de voir se concentrer le pouvoir des grandes entreprises technologiques, limitant l’accès à l’innovation pour les plus petits acteurs. De Microsoft, qui a eu l’intelligence d’investir dans Open AI, à Amazon, qui a misé sur Anthropic, la maison mère de Claude, en passant par Google : les acteurs du cloud ont de grandes chances de sortir les grands gagnants de cette course folle.

Bien entendu, de Baidu à Tencent, sous oublier Kai-Fu Lee qui a lancé 01.AI, la Chine ne restera pas non plus les bras croisés en 2025. Et la surprise pourrait venir d’Afrique avec de magnifiques initiatives, comme Lelapa. Aux acteurs européens de Mistral AI à Aleph Alpha en passant par le laboratoire Kyutai basé à Paris, de montrer que le Vieux Continent a aussi son mot à dire.