June 8, 2025

« Trump est bon sinon pour l’économie, du moins pour la Bourse »

Le Monde

« Quand les faits changent, je change d’avis » : il faut bien s’y résoudre et suivre la maxime de l’économiste anglais John Maynard Keynes (1883-1946), alors que la baisse annoncée de Wall Street dans la foulée de l’élection de Donald Trump n’a pas eu lieu. Bien sûr, il y avait mille arguments, la hausse promise des droits de douane, l’expulsion annoncée des migrants qui va conduire à une pénurie de main-d’œuvre, et les déficits excessifs susceptibles de relancer l’inflation. Mais tout cela est à long terme. En attendant, Wall Street n’en finit pas de s’envoler depuis l’élection (5 % pour les grandes entreprises du S&P 500 et 7 % pour les valeurs technologiques du Nasdaq), et le marché obligataire, qui semblait donner des signes contraires – les taux sont montés alors qu’ils auraient dû baisser –, finit par s’y rallier : Trump est bon sinon pour l’économie, du moins pour la Bourse. Les investisseurs ont déversé 140 milliards de dollars (132 milliards d’euros) en achetant des actions américaines : c’est le « Trump Bump ».

Pourquoi les marchés ne suivent-ils pas les analyses sombres de nombreux économistes ? Parce qu’ils sont persuadés que le sport pratiqué par Trump relève plus du catch que de la boxe, du chiqué que du vrai combat. Certes, le président élu a annoncé des expulsions massives, mais les moyens de l’agence fédérale chargée des frontières, qui procédait à 80 000 expulsions par an sous son premier mandat, ne permettent pas de traiter des millions de cas. Certes, il a promis des droits de douane de 25 % sur les importations du Canada et du Mexique, mais c’est immédiatement pour mettre en scène la prétendue capitulation des dirigeants de ces deux pays.

Il a aussi annoncé 10 % de droits supplémentaires sur la Chine, mais n’est-ce pas un moyen de remettre à plus tard les 60 % promis ? D’ailleurs, l’équipe économique ne compte pas dans ses rangs le très protectionniste Robert Lighthizer, qui avait dirigé les négociations commerciales sous son premier mandat, mais une série de vétérans de Wall Street, qui ont une obsession, ne pas faire baisser les marchés financiers. Aux finances, à la Security Exchange Commission (SEC, le régulateur des marchés), à l’agence de l’énergie, à celle de l’environnement, on se prépare à détaxer et à déréguler.

Curieuse union nationale

Donald Trump veut en effet réduire l’impôt sur les sociétés de 21 % à 15 % et devrait avoir la majorité pour le faire. Il veut libéraliser les marchés financiers, fortement corsetés depuis la grande faillite de 2008. Il est un grand partisan des cryptomonnaies, et la nomination à la SEC d’un de leurs défenseurs, Paul Atkins, devrait accélérer le gonflement de la bulle sur les bitcoins, dont la valeur a dépassé les 100 000 dollars. Donald Trump va encourager les forages d’hydrocarbures. Bref, c’est l’euphorie.

S’y ajoute la commission chargée de sabrer dans les dépenses fédérales, dirigée par Elon Musk, qui n’a pas que des inconvénients : le milliardaire prétend s’attaquer à la bureaucratie des agences fédérales – légendaire au point que les démocrates eux-mêmes s’en plaignent –, elles sont incapables de verser les subventions industrielles et énergétiques prévues dans les programmes de Joe Biden. Il veut forcer les fonctionnaires à retourner au bureau cinq jours sur sept. Surtout, il veut couper dans les dépenses du Pentagone, qui a englouti, en 2024, 826 milliards de dollars (12 % du budget). Ce tabou brisé a reçu le soutien, à gauche, du sénateur du Vermont Bernie Sanders. L’enjeu : réduire le déficit public qui se creuse à un rythme insoutenable et atteint 7 % du produit intérieur brut.

Cette fête du capitalisme se fait en pleine confusion, avec les nominations familiales de Trump, les renvois d’ascenseur aux grands donateurs et les conflits d’intérêts patents, dont Elon Musk, avec son empire, est la première incarnation. A la différence de 2016, tous les patrons de la tech ont fait allégeance au président élu, qu’il s’agisse de Tim Cook (Apple), Jeff Bezos (Amazon) ou Mark Zuckerberg (Meta). Dans une curieuse union nationale. Pour ne pas perdre une miette de cette grande orgie financière qui rappelle la décennie 1920, celle des Roaring Twenties, les années folles.