June 8, 2025

En Afrique, le grand mirage nucléaire

Courrier International

Plusieurs pays africains souhaitent se doter de centrales nucléaires. La “Süddeutsche Zeitung” doute de la faisabilité de ce projet en raison de l’insuffisance des infrastructures locales. Mais le quotidien allemand y décèle une stratégie de la Russie et de la Chine pour gagner des alliés sur le continent.

Süddeutsche Zeitung
De gauche à droite : Joe Biden, Vladimir Poutine et Xi Jinping.

Mer bleu turquoise, rochers abrupts, palmiers fouettés par le vent : la côte d’Uyombo, dans l’est du Kenya, ferait une belle carte postale. Enfin, pour le moment, car on pourrait bientôt y voir se dresser la première centrale nucléaire du Kenya. Inutile de demander à Anthony Kingi ce qu’il en pense. Il jette un regard sur la voiture avec laquelle il est venu sur la côte. “Sitaki nuklear”, proclame un autocollant sur le bouchon du réservoir – soit “Nucléaire, non merci” en kiswahili.

Anthony Kingi, 53 ans, mène la résistance contre la centrale nucléaire d’Uyombo. Les quelque 8 000 habitants du village ont rejeté le projet à l’unanimité ou presque, déclare-t-il. Ces pêcheurs et paysans craignent pour leur terre natale, pour les forêts de mangrove, pour leurs moyens de subsistance. Les employés de la Nupea, l’autorité de l’énergie atomique, qui voulaient visiter le site en mai, ont été accueillis par des manifestations. Il y a eu des blessés et des arrestations.

Anthony Kingi n’est pas seulement contre la présence d’une centrale nucléaire à Uyombo, il est contre la présence de centrales nucléaires au Kenya en général. Le pays est déjà massivement endetté et absolument pas préparé, explique-t-il. Il ne dispose ni des compétences nécessaires ni d’un réseau électrique stable. Et s’il y a un accident ? Et s’il y a des fuites radioactives ? “Nous avons du soleil et du vent à ne plus savoir qu’en faire. Pourquoi n’utilisons-nous pas ce que la nature nous donne ?” ajoute-t-il.

Les manifestations laissent le gouvernement kényan de marbre. Voilà des mois qu’il s’emploie à faire passer le pays à l’énergie nucléaire. La construction de la centrale devrait commencer en 2027 et s’achever en 2034. Le site d’Uyombo n’est pas encore confirmé, mais Anthony Kingi pense que la décision est prise. “C’est une course : quel pays d’Afrique va être le premier à avoir son réacteur ? Personne ne s’intéresse à nos réserves.”

L’espoir de la sécurité énergétique

Le fait est que le Kenya n’est pas le seul à avoir des ambitions nucléaires en Afrique. Le continent connaît un boom de l’énergie nucléaire. Il comptait jusqu’à présent exactement une centrale, en Afrique du Sud, mais près de la moitié des États africains veulent désormais s’y mettre d’une façon ou d’une autre, dans l’espoir que le nucléaire permette d’approvisionner leur population croissante en énergie de façon fiable. Est-ce réaliste ?