June 8, 2025

La fin d’un monde américain

Le Monde 

La réélection de Donald Trump pour un second mandat à la Maison Blanche, qu’il a revendiquée mercredi 6 novembre, et le succès du Parti républicain, dont il a pris le contrôle total, constituent un tournant majeur pour les Etats-Unis.

C’est un constat qu’il faut examiner les yeux grands ouverts. La voie sur laquelle Donald Trump, renforcé pour ce deuxième mandat par le succès de son parti au Sénat, va engager son pays diverge fondamentalement du chemin dessiné par les Etats-Unis depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. C’est la fin d’un cycle américain, celui d’une superpuissance ouverte et engagée dans le monde, désireuse de s’ériger en modèle démocratique − la fameuse « cité qui brille sur la colline » vantée par le président Ronald Reagan. Le modèle avait déjà été mis à mal au cours des deux dernières décennies. Le retour de Donald Trump enfonce un clou dans son cercueil.

Risque de fracture de l’Europe

Les Européens ont, à juste titre, un mauvais souvenir du premier mandat Trump. Le second sera plus périlleux encore, dans un contexte où la guerre fait rage sur leur continent, livrée par une puissance russe qui fait fi de toutes ses obligations internationales et déploie une agressivité croissante. Si, comme il en a agité la menace pendant la campagne, Donald Trump cesse l’aide militaire à l’Ukraine et négocie avec Vladimir Poutine une paix favorable à l’envahisseur, les conséquences d’un tel dénouement iront bien au-delà du sort de la seule Ukraine : elles porteront sur l’ensemble de la sécurité du continent.

Le risque de division, voire de fracture de l’Europe face à une telle perspective est réel. Ce danger est existentiel pour l’Union européenne ; ses dirigeants doivent en prendre conscience et se préparer à y faire face, sans attendre l’entrée en fonctions de Donald Trump − ils n’ont que trop tardé.

La victoire de Donald Trump au terme d’une campagne d’une virulence populiste, misogyne et raciste sans précédent est aussi de mauvais augure pour les femmes, pour les immigrants et pour la démocratie en général. Le 47e président des Etats-Unis hérite d’un système qu’il a commencé à mettre en place lorsqu’il en était le 45e, un système dans lequel les sacro-saints « checks and balances », ces garde-fous censés préserver les institutions démocratiques américaines, sont déjà affaiblis, et où la Cour suprême lui est acquise. Il a réussi à banaliser l’assaut du Capitole par des émeutiers qu’il avait encouragés, le 6 janvier 2021. L’image d’un chef de l’exécutif de la première puissance mondiale qui qualifie ses opposants d’« ennemis de l’intérieur », en juge certaines dignes du peloton d’exécution, vilipende les médias dissidents et menace d’envoyer l’armée faire la chasse aux immigrés illégaux dans les villes démocrates ne peut en outre qu’encourager tous les dirigeants illibéraux de la planète, y compris en Europe.

Les électeurs de Donald Trump l’ont choisi en toute responsabilité, de même que les dirigeants du monde des affaires et du high-tech qui se sont ralliés à lui, emboîtant le pas à Elon Musk, le patron iconoclaste devenu éminence grise. Le reste du monde va le subir.