Le Maghreb inégal devant ses diasporas
Le Point
LETTRE DU MAGHREB.
Les pays d’Afrique du Nord sont
inégaux devant l’argent versé par leurs citoyens vivant à
l’étranger : 11,8 milliards de dollars pour le Maroc, en 2023, 1,9 en Algérie.
Benoît Delmas

En cette mi-juillet, avions et ferrys à destination du Maghreb sont complets. On vole, on roule vers le soleil et les plages, une vie douce, en all inclusive à Djerba, en Tunisie, en riad à Marrakech, dans la maison familiale. Les années de plomb Covid ne sont plus que de mauvais souvenirs, les touristes sont au rendez-vous, les premiers indicateurs laissent entrevoir une excellente saison au Maroc (objectif : 13 millions). Le tourisme, un des trépieds de l’économie régionale, est synonyme de devises.
Les États et leurs banques centrales en sont avides, dollars et euros permettent des achats stratégiques de matières premières, de biens de première nécessité… Si l’industrie touristique est saisonnière, il en est une qui toute l’année tourne à plein régime : celle des transferts effectués par les résidents à l’étranger à destination de leurs familles, d’investissements dans le pays… La Banque mondiale a publié les montants versés en 2023. Et la différence entre l’Algérie et le Maroc, les ennemis du Maghreb, est patente mais en trompe-l’œil.
Le change informel dans les cafés de Marseille
L’argent de la diaspora irrigue les économies, rien de nouveau sous le soleil économique. L’engouement des locaux qui résident à l’étranger est un excellent baromètre de la confiance. En 2023, la diaspora marocaine a transféré 11,8 milliards quand les Tunisiens le faisaient à hauteur de 2,7 milliards.
En Algérie, la diaspora n’aurait « officiellement » versé que 1,9 milliard. Le fossé entre les deux pays semble vertigineux. L’Algérie, le pays le plus peuplé du Maghreb avec 45 millions d’habitants, n’arrive qu’en neuvième position en fonds reçus.
Une tendance qui s’est accentuée les dix dernières années. Les chiffres oscillent entre 1,5 milliard (années Covid) et 1,9 milliard (2023). Il pointe derrière la Tunisie qui a une population moindre, 12 millions d’habitants, dont 10 % vivent hors des frontières. L’Égypte, le leader africain en fonds perçus avec 19 milliards de dollars, accuse une chute de 31 %. Le marché parallèle étranger semble l’emporter, selon la note annuelle de la Banque mondiale.
C’est en France que les diasporas du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie sont les plus nombreuses. L’Algérie subit le même phénomène mais à une plus grande échelle. Le dinar algérien est inconvertible. Un connaisseur des mœurs financières algériennes, légales ou informelles, décrit un « dispositif de compensation gigantesque qui se tient dans les cafés de Bastille, de Saint-Denis où de Marseille ».
Le taux de change informel
Le protocole est biblique : un Algérien demande une somme en euro au cafetier et lui promet une contrepartie en dinars algériens lorsqu’il sera rentré au pays pour les vacances. Si celui-ci lui verse 500 euros, il les trouvera « au bled » avec le taux de change informel, bien plus avantageux.
Ce qui se lit à travers ces quelques chiffres, c’est le degré d’avancement financier des pays.
Le Maroc met toute son énergie pour être un hub entre le Nord et le Sud, facilitant les transferts à travers des banques présentes des deux côtés de la Méditerranée. C’est aussi un signe de confiance ou de défiance envers le climat politique et économique du pays d’origine.
Cette manne, certains partis d’extrême droite français l’évoquaient comme un levier durant la campagne électorale. De Reconquête ! à certains RN, on a évoqué l’interdiction de transferts tant que les pays ne reprendront pas leurs OQTF. Du bluff tant la stabilité des pays du Maghreb a besoin de cette rentrée d’argent. Fermer le robinet provoquerait un regain de crise économique et une vague de migration. L’effet contraire de celui recherché.