« Cela n’a aucun intérêt d’être optimiste en politique »
Le Point
ENTRETIEN. L’essayiste Nicolas Bouzou réagit aux accusations d’Emmanuel Macron portées contre la négativité des médias, jugés coresponsables de la montée des extrêmes.
Kévin Badeau

Le président Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse du 12 juin 2024.
« Dès qu’il y a un fait divers, il est monté en épingle partout. » Le président de la République a lancé ce 12 juin la campagne des législatives lors d’une conférence de presse. Interrogé sur la possible arrivée de Jordan Bardella à Matignon, Emmanuel Macron a reconnu sa part de responsabilité dans la montée des extrêmes en France, qui l’a conduit à dissoudre l’Assemblée nationale.
Le chef de l’État, qui se dépeint comme un « indécrottable optimiste », a aussi pointé le rôle des médias et des réseaux sociaux qui, selon lui, donnent le sentiment d’une France « Orange mécanique ». Il y a une « prime à l’émotion négative, à la surréaction, à l’épisode du moment, a-t-il expliqué. Celui qui monte, c’est celui qui porte le mieux l’épisode négatif ».
L’économiste Nicolas Bouzou, auteur de La Civilisation de la peur (XO éditions), un essai que le président aurait lu, ne nie pas l’impact du traitement de l’information sur l’ambiance du pays. Mais il appelle Emmanuel Macron à la lucidité sur les grandes thématiques bien réelles qui poussent les Français dans les bras des extrêmes.
Le Point : Emmanuel Macron a-t-il raison de pointer la responsabilité des médias dans la montée des extrêmes ?
Nicolas Bouzou : Il y a une part de vrai. Les faits divers sont parmi les informations qui captent le plus l’attention du public. Les médias le savent, et plus particulièrement les chaînes d’information en continu. Le jeu concurrentiel les pousse à repérer, disséquer puis commenter les faits divers sous tous les angles. Ces mêmes informations négatives sont ensuite publiées sur les réseaux sociaux, ce qui, finalement, accroît leur visibilité. Au bout du compte, le public en ressort avec une vision du monde plus négative qu’elle ne l’est réellement.
Ce phénomène d’amplification génère de la colère. Chacun sait que la colère est le carburant des populistes. Ces partis, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, arrivent mieux que les autres à la capter et à la transformer en discours programmatiques. D’ailleurs, ces mêmes populistes bénéficient d’une extraordinaire complaisance sur les plateaux télé. Ils sont invités dans l’espoir que leurs outrances langagières fassent le buzz.
Est-ce une manière, pour Emmanuel Macron, de se défausser un peu ?
Son intervention laisse entendre que l’insécurité, l’immigration et l’islamisme sont le fruit d’une invention médiatique. Or ce sont des sujets de préoccupation parfaitement réels auxquels le gouvernement ne s’est pas attaqué de manière assez radicale. Finalement, Emmanuel Macron risque de donner l’impression qu’il les sous-estime.
Emmanuel Macron en est encore au “en même temps”. Or, les Français n’adhèrent plus à ce principe.
Le président a fustigé ce qu’il appelle une « prime » donnée « à l’émotion négative ». Il s’est, à ce titre, présenté comme un « indécrottable optimiste ». Qu’est-ce que l’optimisme en politique ?
L’optimisme revient à considérer que l’avenir sera forcément meilleur que le présent… Sur le plan de la sécurité, puisque le président déplore les « faits divers montés en épingle », être optimiste reviendrait à croire que tout finira par s’arranger. Mais cela n’a aucun intérêt d’être optimiste en politique. La pertinence, c’est la lucidité. Il aurait été plus juste de reconnaître la montée des incivilités dans notre pays, de la juger insupportable et de s’engager à prendre ce sujet à bras-le-corps. Mais cela suppose aussi d’admettre le lien entre insécurité et immigration. La cécité de la majorité à ce sujet explique en partie la poussée du Rassemblement national.
Si l’on vous suit, abattre la carte de l’optimisme ne donne aucun crédit politique…
Mis à part Léon Blum, qui a déclaré en 1936 être « un optimiste invétéré, incurable, incorrigible », je n’identifie aucune grande figure politique farouchement optimiste dans notre pays. Dans son appel du 18 Juin, le général de Gaulle n’affichait pas son optimisme, mais son immense confiance entre notre capacité à nous libérer. Emmanuel Macron en est encore au « en même temps ». Or, les Français n’adhèrent plus à ce principe.