L’ASMEX accompli un travail essentiel pour préparer les entreprises exportatrices à la ZLECAf
Entretien avec Mohamed H’MIDOUCHE, Vice-Président de l’ASMEX et spécialiste de l’Afrique
Ssi Mohamed H’MIDOUCHE, vous êtes Vice-Président de l’ASMEX et spécialiste de l’Afrique. Le Maroc affiche de grandes ambitions politiques, d’investissement, commerciales et culturelles quant au futur de ses relations avec ses partenaires africains, d’après votre expérience terrain s’est-il donné les moyens de cette ambition ou des efforts supplémentaires à fournir sont-ils nécessaires pour intégrer au mieux le processus de création de la ZLECAf ?
M.H : Le Maroc a fait des avancées significatives dans sa quête de renforcer sa présence diplomatique et économique en Afrique et de tirer parti des opportunités offertes par la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Cette ambition se reflète dans plusieurs initiatives et actions menées sous le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI que Dieu l’Assiste et le Glorifie.
Comme vous le savez, le Maroc a considérablement augmenté ses investissements en Afrique subsaharienne, notamment dans des secteurs stratégiques comme les banques, les assurances, les télécommunications et les infrastructures.
Quant à la diplomatie marocaine, elle a été très active pour renforcer les relations bilatérales avec de nombreux pays africains. Le retour de notre pays à l’Union Africaine le 31 janvier 2017 après 33 ans d’absence représente un signal très fort de cette volonté de réintégration, ce qui lui a permis de participer à plusieurs projets d’infrastructure panafricains dont le projet phare est le gazoduc Nigeria-Maroc et diverses initiatives dans le domaine des énergies renouvelables.
Sur le plan culturel, le Maroc accueille de nombreux étudiants africains dans ses universités et grandes écoles et leur offre de très nombreux programmes de formation, ce qui contribue à renforcer les liens humains et professionnels avec ces futurs cadres et leaders.
Cependant, afin de tirer pleinement parti de la ZLECAf, notre pays pourrait entreprendre des efforts supplémentaires dans les domaines suivants : i) harmoniser ses réglementations avec celles des autres pays membres en tenant compte des normes de produits, des règles douanières et des régulations financières, ii) améliorer les infrastructures logistiques, notamment les ports, les routes et les corridors de transport, pour faciliter le commerce intra-africain, iii) encourager les petites et moyennes entreprises (PME) à s’intégrer dans la dynamique commerciale africaine en les faisant bénéficier de mesures de soutien spécifiques, comme l’accès au financement et la formation , iv) poursuivre la diversification de son économie afin de lui permettre de mieux résister aux chocs externes et de saisir les opportunités offertes par la ZLECAf, v) encourager et faciliter les partenariats public-privé afin d’accélérer le développement des infrastructures et des services nécessaires pour soutenir l’expansion économique.
Pouvez-vous nous rappeler brièvement les grandes lignes de la stratégie Afrique de l’ASMEX dans la perspective de l’établissement de la ZLECAf ?
M.H : L’Association Marocaine des Exportateurs (ASMEX) a élaboré une stratégie Afrique visant à renforcer la position du Maroc sur le continent et à tirer parti des opportunités offertes par la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Les grandes lignes de cette stratégie portent sur les axes suivants:
- Diversification des Marchés
L’ASMEX encourage les exportateurs marocains à diversifier leurs marchés en Afrique pour réduire la dépendance vis-à-vis des partenaires traditionnels et explorer de nouvelles opportunités de croissance.
- Renforcement des Capacités des PME
L’ASMEX a mis en place des programmes de soutien pour les petites et moyennes entreprises (PME), y compris des formations, des ateliers et des accompagnements personnalisés pour améliorer leur compétitivité sur les marchés africains.
- Développement des Infrastructures Logistiques
L’ASMEX travaille en collaboration avec les autorités marocaines et les partenaires privés pour améliorer les infrastructures logistiques, notamment les ports, les routes et les zones de stockage, afin de faciliter le commerce intra-africain.
- Harmonisation Réglementaire
L’ASMEX plaide pour l’harmonisation des normes et des réglementations entre le Maroc et les autres pays africains afin de faciliter le commerce et de réduire les barrières non tarifaires.
- Intégration des Chaînes de Valeur
L’association encourage les entreprises marocaines à s’intégrer dans les chaînes de valeur africaines, en identifiant les opportunités de coopération industrielle et en encourageant les joint-ventures et les partenariats stratégiques.
- Promotion des Produits Marocains
En partenariat avec l’Agence Marocaine de Développement des Investissements et des Exportations (AMDIE), le Centre Islamique de Développement du Commerce (CIDC) et d’autres structures professionnelles, l’ASMEX organise des missions commerciales, participe aux foires et aux salons professionnels en Afrique pour promouvoir les produits marocains et renforcer la visibilité des entreprises marocaines sur le continent.
- Accès au Financement
L’association œuvre pour faciliter l’accès au financement pour les exportateurs marocains, en collaborant avec les institutions financières marocaines et continentales pour développer des produits et des services financiers adaptés aux besoins des entreprises exportatrices.
- Veille Stratégique et Intelligence Économique
L’ASMEX met en place des systèmes de veille stratégique et d’intelligence économique pour fournir aux entreprises marocaines des informations pertinentes sur les marchés africains, les opportunités commerciales et les évolutions réglementaires. Par ailleurs, elle a développé la plateforme https://e-xportmorocco.com/fr qui permet aux opérateurs économiques étrangers d’avoir d’identifier facilement l’offre marocaine par produits ou services d’exportation.
- Formation et Transfert de Compétences
L’ASMEX soutient la formation continue et le transfert de compétences entre les entreprises marocaines et leurs partenaires africains pour renforcer les capacités locales et favoriser le développement durable.
En alignant sa stratégie avec les objectifs de la ZLECAf, l’ASMEX vise à positionner le Maroc comme un acteur clé du commerce intra-africain et à promouvoir une intégration économique plus profonde entre le Maroc et le reste du continent.
La réussite de la ZLECAF à long terme passe par une adhésion du secteur privé et de ses organisations représentatives. Qu’est-il possible de faire concrètement pour accroitre cette adhésion et renforcer les aptitudes de nos entreprises ?
M.H : La réussite de la ZLECAf dépend effectivement en grande partie de l’engagement et de la préparation du secteur privé, à leur tête les exportateurs. C’est pour cette raison que l’l’ASMEX montre un intérêt croissant pour cette initiative et s’emploie à multiplier les initiatives, citons quelques-unes :
- Prise de Conscience et Sensibilisation : Il y a eu des efforts de faits pour sensibiliser les entreprises marocaines aux opportunités et aux défis de la ZLECAf. Des forums, des conférences et des ateliers ont été organisés pour informer les exportateurs sur les avantages de la ZLECAf. Une sensibilisation continue se déroule pour s’assurer que toutes les entreprises, y compris les PME, comprennent bien les implications et les bénéfices à tirer de la ZLECAf.
- Capacités et Compétences : Des initiatives de formation et de renforcement des capacités ont été mises en place pour préparer les entreprises aux exigences du commerce intra-africain. Il est prévu d’élargir ces programmes de formation pour inclure des compétences spécifiques liées à l’exportation, telles que les procédures douanières, les normes internationales et la gestion des risques.
- Infrastructure Logistique : Le Maroc a investi dans des infrastructures logistiques modernes, comme le port de Tanger Med, qui est un hub stratégique pour le commerce africain. Sur ce plan, des efforts continus sont nécessaires pour améliorer les liaisons de transport et les infrastructures logistiques internes afin de faciliter le flux des marchandises vers les marchés africains. Le lancement de compagnies maritimes faciliterait le développement du commerce entre le Maroc et les pays subsahariens. Le futur port de Dakhla s’inscrit dans la voie tracée par SM le Roi Mohammed VI dans le cadre de l’initiative Atlantique qui favorisera l’accès des Etats du Sahel à l’océan Atlantique et ce en dépit des défis sécuritaires auxquels ils sont confrontés. A travers cette importante Initiative Royale, notre pays ambitionne à faire de la côte Atlantique un centre d’intégration économique à grande échelle.
- Accès au Financement : En dépit de nombreuses initiatives prises pour faciliter l’accès au financement pour les exportateurs, un soutien financier plus large et plus accessible est essentiel, surtout pour les PME qui continuent à rencontrer des difficultés pour obtenir des financements adéquats en soutien à leurs activités d’export.
- Harmonisation Réglementaire et Douanière : Des progrès ont été réalisés en matière d’harmonisation réglementaire avec certains partenaires africains. Toutefois, il est nécessaire de procéder à une harmonisation plus vaste et à une simplification des procédures douanières afin réduire les barrières non tarifaires et d’améliorer la compétitivité des exportateurs.
- Partenariats et Réseaux : Ces dernières années, de nombreux partenariats entre les entreprises marocaines et africaines se sont multipliés grâce notamment aux initiatives diplomatiques et commerciales initiées par le gouvernement, l’ASMEX et le système bancaire à l’instar de la Banque Attijari Wafa Bank qui organise régulièrement au Maroc et dans certains pays africains comme la Côte d’Ivoire son Forum International Afrique Développement (FIAD). Le renforcement de ce type de partenariats et l’expansion des réseaux commerciaux sont cruciaux pour développer des chaînes de valeur intégrées et profiter pleinement des opportunités offertes par la ZLECAf.
Pour terminer, pouvez-vous nous indiquer les fragilités auxquelles il faut remédier et les points forts qu’il faut valoriser davantage ?
M.H : A mon humble avis, pour que le secteur privé exportateur marocain puisse bénéficier pleinement des accords portant création de la ZLECAf, il est crucial de remédier à certaines fragilités et de valoriser davantage les points forts existants.
S’agissant des fragilités auxquelles il convient de remédier, je citerai celles qui me semblent les plus pertinentes à savoir :
- Manque de connaissance des marchés africains : De nombreuses entreprises marocaines manquent d’informations détaillées sur les dynamiques, les réglementations et les opportunités des différents marchés africains. Pour y remédier, il serait opportun de renforcer les programmes de veille économique et les études de marché afin de leur fournir des informations actualisées et pertinentes, de poursuivre sans relâche l’organisation des missions commerciales et des rencontres B2B pour mieux comprendre les spécificités locales.
- Accès limité au financement : Les PME, en particulier, rencontrent des difficultés pour accéder à des financements adaptés pour soutenir leurs activités d’exportation. Le développement de mécanismes de financement spécifiques, tels que des garanties de crédit à l’exportation, l’octroi de subventions et l’appui des fonds d’investissement dédiés aux exportateurs, la collaboration avec les banques pour créer des produits financiers adaptés aux besoins des PME pourraient pallier à cette contrainte majeure. Par ailleurs, je suis personnellement d’avis que la création d’institutions dédiées exclusivement au financement du commerce extérieur du Maroc constituerait la panacée à cette problématique du financement (voir à cet effet mon article publié dans les colonnes du journal l’Opinion le Jeudi 10 Février 2022 dans lequel je lançais un plaidoyer pour la création d’une Eximbank au Maroc (https://www.lopinion.ma/Plaidoyer-pour-la-creation-d-une-Exim-bank-au-Maroc_a23938.html).
- Infrastructures Logistiques et de Transport : Bien que les infrastructures logistiques soient développées, il reste des améliorations à faire pour assurer une fluidité optimale des échanges. Pour y parvenir, il est crucial de continuer à i) investir dans les infrastructures de transport, notamment les liaisons ferroviaires, routières, maritimes et aériennes et à ii) moderniser et optimiser les ports pour faciliter le transit des marchandises.
- Complexité des Procédures Douanières : Les procédures douanières et administratives peuvent être complexes et ralentir les échanges commerciaux. Au Maroc, les initiatives prises par PortNet (https://www.portnet.ma/) ont facilité les démarches à l’international des exportateurs en leur assurant une supplychain 100% digitale. Il convient toutefois assurer la simplification et l’harmonisation des procédures douanières avec les autres pays membres de la ZLECAf et mettre en place dans les principales villes du royaume des guichets uniques pour faciliter les formalités administratives.
- Capacité de production et qualité des produits : Certaines entreprises peuvent avoir des capacités de production limitées ou des standards de qualité insuffisants pour répondre aux exigences des marchés africains. De telles entreprises sont appelées à investir dans la modernisation des équipements de production et obtenir des certifications de qualité pour répondre aux normes internationales. Il faudra aussi encourager l’adoption de technologies avancées et des pratiques durables à l’instar des autres pays qui convoitent le marché africains (Brésil, Chine, Inde, Turquie, etc.).
Quant aux points forts que nos entreprises exportatrices se doivent de valoriser, je pourrais citer les principaux atouts et actions suivants qui me semblent les plus pertinents:
- Position géographique stratégique : Le Maroc bénéficie d’une position géographique stratégique en tant que porte d’entrée vers l’Afrique et l’Europe. Nos exportateurs peuvent exploiter cette position pour développer des hubs logistiques et des zones franches attractives pour le commerce intercontinental et promouvoir notre pays comme une plateforme de distribution pour les entreprises cherchant à pénétrer le marché africain.
- Relations diplomatiques et économiques solides : Notre pays a tissé des relations diplomatiques et économiques solides avec plusieurs pays africains. Nos exportateurs se doivent de capitaliser sur ces relations afin de faciliter l’accès aux marchés et renforcer les partenariats bilatéraux et multilatéraux en utilisant les accords de libre-échange existants pour négocier de meilleures conditions commerciales et d’investissement. De surcroit, le Maroc est actionnaire des principales banques régionales de développement africaines actives sur le continent à l’instar du Groupe de la Banque africaine de développement, la Banque Islamique de Développement, la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), la Banque ouest africaine de développement (BOAD), la Banque de développement des Etats d’Afrique Centrale (BDEA), la Banque du Commerce et d’Investissement du Sahel (CIN-SAD), la Société Africaine financière ou ‘’African Financial Corporation’’ (AFC), etc.
- Capacité d’innovation et de diversification : Le secteur privé marocain a montré une capacité d’innovation et de diversification dans plusieurs domaines tels que l’agriculture, l’industrie et les services. Il serait opportun d’encourager davantage l’innovation en soutenant les start-ups et les initiatives de recherche-développement et de diversifier les exportations pour inclure des produits à plus forte valeur ajoutée.
- Infrastructure logistique avancée : Le Maroc dispose d’infrastructures logistiques avancées (routes, ports, autoroutes, centrales électrique). Le port de Tanger Med est le plus grand ports d’Afrique. Il sera bientôt rejoint par le port atlantique de Dakhla qui aura une vocation africaine et Nador West.
- Main-d’œuvre qualifiée et formation : Notre pays dispose d’une main-d’œuvre qualifiée et de programmes de formation solides. Il convient de continuer à investir dans la formation professionnelle et technique pour répondre aux exigences des marchés africains, améliorer la compétitivité et de promouvoir la formation continue pour adapter les compétences aux évolutions du marché.
En redressant les fragilités identifiées et en valorisant les points forts existants, le secteur privé exportateur marocain sera mieux préparé pour tirer pleinement parti des accords de la ZLECAf. La collaboration entre les entreprises, les organisations professionnelles représentatives notamment l’ASMEX et le gouvernement est essentielle pour surmonter les défis et maximiser les opportunités offertes par ce vaste marché continental de 1,5 milliard d’habitants (2,5 milliard à l’horizon 2050) et d’un PIB cumulé de plus de 3.500 milliards de dollars des Etats-Unis d’Amérique.