Après la mort du président iranien, un risque accru d’instabilité au Moyen-Orient
Le Monde
Éditorial
L’élection qui sera rapidement organisée pour remplacer Ebrahim Raïssi, mort le 19 mai, à la présidence de l’Iran, sera l’occasion pour le régime de réitérer la ligne dure qu’il impose au pays depuis 2021, au mépris des protestations intérieures et des pressions extérieures.
Le régime iranien a perdu, dimanche 19 mai, à la fois le président de la République islamique et un successeur potentiel du Guide suprême Ali Khamenei, actuelle clé de voûte du système, âgé de 85 ans. Ce constat donne la mesure de ce que représente pour ce régime la disparition d’Ebrahim Raïssi, mort dans un accident d’hélicoptère en compagnie de son ministre des affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian.
Non pas qu’avec Ebrahim Raïssi l’Iran perde une figure charismatique. Bien au contraire. Ce dernier avait pu s’élever dans la hiérarchie parce qu’il ne déviait pas d’un pouce de la ligne imposée par le Guide, contrairement à certains de ses prédécesseurs autrement populaires. Il incarnait de fait, et jusqu’à la caricature, la mutation ultraconservatrice et particulièrement autoritaire de la République islamique.
Il avait ainsi été élu en 2021, au cours d’un scrutin dont le courant réformateur, longtemps toléré dans un jeu politique verrouillé par le Conseil des gardiens de la Constitution, avait soigneusement été écarté. Son mandat écourté a été marqué principalement par l’écrasement dans le sang du mouvement de protestation né de la mort de la jeune Mahsa Amini aux mains de la police des mœurs en septembre 2022.
Cette contestation a accentué le divorce entre une société iranienne exaspérée par la confiscation de ses libertés comme par l’impéritie d’un régime obsédé par sa propre survie, au sein duquel le corps des gardiens de la Révolution islamique pèse d’un poids toujours plus grand sous l’égide d’Ali Khamenei.
Fonctionnement en vase clos
Nul doute que cette fracture se manifestera lors de l’élection présidentielle qui sera rapidement organisée pour donner un successeur à Ebrahim Raïssi. En mars, lors des élections législatives qui se sont tenues conjointement avec celles pour l’Assemblée des experts, chargés de choisir le Guide suprême, le taux d’abstention annoncé avait déjà été le plus élevé depuis la naissance du régime, en 1979. Ces élections avaient également été marquées par la disqualification des candidats considérés comme modérés ou réformateurs, comme l’ancien président Hassan Rohani, certains d’entre eux appelant d’ailleurs au boycottage des urnes.
Nul doute non plus que la ligne dure que s’est fixé ce régime sera maintenue à l’identique, du fait de son fonctionnement en vase clos qui ne permet rien d’autre qu’une autoreproduction dont les Iraniens ne peuvent que se sentir exclus. Elle ne le protège pourtant pas des secousses telles que l’attentat revendiqué par l’organisation djihadiste Etat islamique, sur son sol, en janvier, ou encore le bombardement prêté à Israël contre le consulat iranien en Syrie, en avril, qui a été suivi d’une attaque sans précédent contre l’Etat hébreu, preuve s’il en est que l’imprévisibilité est devenue la règle entre les deux ennemis, avec tout ce que cela comporte de risques de mauvaise lecture des intentions des uns et des autres.
Garder ce cap n’est certainement pas un facteur de stabilité au Proche-Orient. D’autant que l’intranquillité intérieure et les pressions extérieures ne peuvent que pousser le régime iranien dans sa quête de l’arme nucléaire, conçue comme une assurance-vie. Il s’agit d’une autre source de tension, susceptible d’inciter des voisins de l’Iran à se lancer dans la même course à l’arme suprême, au prix d’un risque accru de prolifération.
Le Monde