Balance commerciale: Le tissu exportateur peut-il redresser la barre ?

Adama Sylla

Le gouvernement mise désormais sur une nouvelle stratégie présentée à Rabat le 6 mai 2025 lors d’une réunon présidée par le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch.
Alors que le commerce mondial est confronté à des tensions géopolitiques persistantes et à des perturbations logistiques, le Maroc dévoile une nouvelle feuille de route du commerce extérieur pour la période 2025-2027. L’ambition est claire : dynamiser les exportations, promouvoir les produits nationaux et stimuler la création d’emplois. Pourtant, les déséquilibres de la balance commerciale continuent de s’amplifier, interrogeant l’efficacité du tissu exportateur national et la profondeur des réformes engagées.
En 2024, le déficit commercial du Maroc a atteint un niveau record de 306,47 milliards de dirhams, en augmentation de 7,3 % par rapport à l’année précédente. Le taux de couverture des importations par les exportations reste faible, à peine 62 %. Quant à la part de marché mondiale du royaume, elle oscille depuis plus de vingt ans entre 0,10 % et 0,17 %, traduisant une faible présence sur les marchés internationaux.
Les derniers chiffres ne sont pas plus rassurants. Au premier trimestre 2025, le déficit s’est encore creusé, atteignant 71,63 milliards de dirhams, soit une hausse de 16,9 %. Cette dégradation s’explique par une augmentation des importations plus rapide (+6,9 %) que celle des exportations (+1,5 %), faisant chuter le taux de couverture à 61,8 %, en baisse de 3,3 points.
Une dynamique exportatrice en demi-teinte
Toutes les catégories de produits importés ont progressé, notamment les produits bruts, les produits alimentaires, les biens de consommation et les équipements. Côté exportations, seuls quelques secteurs affichent des performances notables, comme les phosphates et dérivés, les extractions minières, l’aéronautique, ainsi que l’agriculture et l’agroalimentaire.
En revanche, les secteurs de l’électronique, de l’automobile et du textile enregistrent des baisses significatives. Cela, en dépit de l’installation croissante de multinationales dans les zones franches d’exportation, à l’image de Renault à Tanger ou de Bombardier à Casablanca.
Des freins structurels persistants
Les réformes engagées ces dernières années, telles que les accords de libre-échange, l’amélioration de l’environnement des affaires ou encore les plans sectoriels comme Maroc Export Plus ou Émergence, n’ont pas suffi à redresser durablement la situation. Le commerce extérieur reste plombé par une série de freins structurels.
Selon l’économiste Abdeslam Touhami, plusieurs éléments entravent le développement du tissu exportateur marocain. L’inertie de l’offre exportatrice nationale, la forte concentration sur quelques produits et marchés, la prédominance des produits à faible valeur ajoutée, la faible productivité par rapport à des concurrents asiatiques en sont les principaux exemples. Pour lui, il est impératif de conjuguer les efforts de tous les acteurs économiques afin de renforcer la compétitivité globale.
Moncef Agoumi, également économiste, souligne que les déficits commerciaux chroniques ne s’expliquent plus seulement par les variations des prix de l’énergie, mais trouvent leur origine dans la faiblesse de l’industrie marocaine. Les pays à forte production industrielle ont généralement des balances commerciales excédentaires, tandis que ceux à production industrielle modeste, comme le Maroc, présentent des déficits structurels.
Une nouvelle feuille de route pour relancer les exportations
Le gouvernement mise désormais sur une nouvelle stratégie présentée à Rabat le 6 mai 2025 lors d’une réunon présidée par le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch. Cette feuille de route repose sur trois objectifs principaux : créer 76 000 emplois, générer 84 milliards de dirhams d’exportations supplémentaires et élargir la base exportatrice à travers la création de 400 nouvelles entreprises exportatrices chaque année.
Six chantiers prioritaires ont été définis : la digitalisation du commerce extérieur, l’installation de bureaux régionaux pour accompagner cette transformation, l’appui aux exportations de l’artisanat et de l’économie sociale, la montée en gamme des produits, le soutien à la compétitivité des entreprises et l’ouverture vers de nouveaux marchés.
Des ambitions limitées par la réalité du tissu économique
Abdeslam Touhami met en garde contre un excès d’optimisme. Selon lui, vouloir transformer les petites PME en entreprises exportatrices revient à leur faire courir des risques qu’elles ne sont pas encore en mesure d’assumer. Ces entreprises, encore en phase de consolidation, devraient d’abord renforcer leur productivité et leur positionnement local avant de se projeter à l’international.
Aujourd’hui, le Maroc compte environ 5 000 entreprises exportatrices. Mais moins de 20% d’entre elles réalisent 80 % du chiffre d’affaires à l’export. De plus, 85 % des exportations marocaines proviennent de seulement trois régions du pays. Une telle concentration limite la résilience du modèle exportateur face aux chocs externes.
Six secteurs concentrent l’essentiel des exportations marocaines : l’automobile, l’agriculture et l’agroalimentaire, les phosphates et leurs dérivés, les produits en cuir, l’aéronautique et l’électronique. Cette spécialisation, bien qu’efficace à court terme, accroît la dépendance du pays à des marchés spécifiques et à des cycles économiques volatils.
Pour sortir de cette vulnérabilité, le Maroc doit non seulement diversifier ses produits, mais aussi élargir sa carte des destinations. Abdeslam Touhami insiste sur la nécessité d’augmenter à la fois la quantité et la valeur des exportations, tout en s’ouvrant davantage aux marchés africains, asiatiques et américains.
Un potentiel exportateur encore sous-exploité
Le gouvernement estime que le Maroc laisse échapper chaque année un potentiel inexploité d’environ 120 milliards de dirhams d’exportations. Ce manque à gagner s’explique par des capacités de production disponibles mais non utilisées dans plusieurs secteurs encore sous-développés.
Des segments à fort potentiel ont été identifiés : l’automobile, le textile, la chimie et parachimie, l’agroalimentaire, la mécanique et la métallurgie, les matériaux de construction, l’industrie pharmaceutique, les dispositifs médicaux et l’industrie du papier et du carton. Le ciblage de ces filières vise à capitaliser sur des infrastructures déjà en place, tout en réduisant le besoin en nouveaux investissements lourds.
Pour accompagner les entreprises marocaines dans leur conquête de nouveaux marchés, les autorités ont cartographié 1 200 destinations à fort potentiel. Des fiches d’orientation ont été élaborées, couvrant 200 produits exportables. Ces fiches fournissent des informations stratégiques sur les conditions d’accès aux marchés, les réglementations en vigueur, les profils de la demande et les canaux de distribution à privilégier.
L’Afrique, une priorité stratégique confrontée à des blocages
Le continent africain figure parmi les cibles prioritaires du nouveau plan exportateur. Toutefois, de nombreux obstacles subsistent. Les difficultés logistiques, le manque d’assurance à l’export, ainsi que la complexité des réglementations locales freinent encore l’essor des échanges commerciaux avec les pays africains.
Pour y remédier, le gouvernement prépare le lancement d’une plateforme en ligne centralisant les données sur les marchés africains, les produits porteurs, les démarches administratives et les partenariats possibles.

