June 8, 2025

Emploi au Maroc: quelle place pour les jeunes sans diplôme?

Alors que le chômage des jeunes atteint des niveaux préoccupants, notamment auprès des non-diplômés, le Royaume du Maroc change de paradigme. La nouvelle feuille de route pour l’emploi 2025-2027 tente une approche inclusive et pragmatique, misant sur la formation en alternance, la reconnaissance des compétences acquises sur le terrain, et une meilleure connexion avec les secteurs porteurs à l’export. Décryptage, avec l’économiste Khalid Kabbadj.

Nabil Ouzzane

Face à une jeunesse fortement touchée par le chômage, et majoritairement sans diplôme supérieur, le gouvernement présente une nouvelle feuille de route pour l’emploi 2025-2027, fondée sur l’inclusion, la valorisation des compétences et une meilleure intégration aux dynamiques économiques, notamment à l’export.

Khalid Kabbadj, économiste et expert en investissement, en décrypte les principaux leviers pour le magazine Finances News Hebdo.

Le constat est sans appel: près de 70% des jeunes chômeurs n’ont pas de diplôme de l’enseignement supérieur.

Une réalité structurelle que le gouvernement tente désormais d’affronter avec pragmatisme.

«Le gouvernement a fait le choix d’un réalisme social assumé», a affirmé Khalid Kabbadj, soulignant que cette approche se traduit par trois leviers d’action concrets et complémentaires.

Le premier repose sur la valorisation de la formation en alternance, conçue en étroite collaboration avec les fédérations professionnelles.

Ce modèle permettra, chaque année, à plus de 100.000 jeunes d’être formés directement en entreprise, au plus près des besoins du marché.

«Ce système permet une acquisition directe de compétences en contexte réel de travail, facilitant ainsi l’intégration professionnelle dès la sortie du programme», précise-t-il.

Deuxième levier: l’accélération du déploiement des Cités des Métiers et des Compétences (CMC), qui deviennent de véritables hubs régionaux d’apprentissage et de reconversion, accessibles aux jeunes sans diplôme. Troisième levier enfin: des dispositifs de reconversion qualifiante de courte durée pour les secteurs à fort potentiel d’exportation.

Une des avancées majeures de cette feuille de route réside dans la reconnaissance des acquis de l’expérience (RAE), inspirée du modèle norvégien. Cette certification permet de valoriser les compétences issues de l’informel ou de l’artisanat, sans passer par les parcours académiques classiques, écrit-on.

Côté entreprises, l’effort de formation est appuyé par une batterie d’incitations: exonérations sociales, primes à l’embauche pouvant atteindre 30.000 dirhams, ou encore conventions sectorielles ciblant 150.000 jeunes d’ici 2027.

«Ces dispositifs visent à reconnaître une intelligence pragmatique, longtemps restée en marge, mais essentielle à la vitalité économique», a insisté Khalid Kabbadj. Un label “Entreprise inclusive” est également à l’étude pour distinguer les employeurs les plus engagés.

Plus qu’un objectif macroéconomique, l’exportation est pensée comme un moteur actif de création d’emplois.

«Elle est appelée à devenir un levier d’émancipation, en permettant à de nombreux jeunes de se projeter au-delà de leurs horizons initiaux», indique l’économiste.

L’exemple de la plateforme Tanger Med Skills Center, qui forme plus de 3.000 jeunes par an à des métiers de l’industrie et de la logistique, illustre cette convergence entre stratégie industrielle et inclusion, écrit-on encore.

Des dispositifs spécifiques sont aussi en place pour les jeunes entrepreneurs exportateurs, avec accompagnement, formation digitale et accès facilité aux marchés internationaux.

Cette dynamique s’inscrit dans une approche territorialisée, qui vise à réduire les inégalités régionales en développant les écosystèmes industriels hors des grands centres urbains.

La stratégie ne mise pas sur un seul secteur, mais sur un bouquet cohérent de filières à fort potentiel: automobile, aéronautique, agroalimentaire, textile écoresponsable, énergies renouvelables, mais aussi services numériques et artisanat de qualité.

«L’industrie devient un laboratoire d’innovation où chaque chaîne de montage est une opportunité d’apprentissage», a observé Khalid Kabbadj.

Le digital n’est pas en reste, avec des formations courtes en cybersécurité, cloud ou support IT, accessibles aux jeunes non diplômés. Quant à l’artisanat haut de gamme, il combine tradition et innovation, avec une forte orientation vers les marchés étrangers.

Au-delà des mesures immédiates, la feuille de route engage une réforme structurelle de la formation et de l’orientation.

«L’employabilité des jeunes devient un champ d’innovation, où l’audace et les compétences concrètes priment sur les logiques de diplôme», a résumé Khalid Kabbadj.

L’introduction précoce de modules sur les métiers d’avenir, la modernisation du statut d’auto-entrepreneur, la digitalisation du marché du travail et le lancement d’une plateforme nationale de mise en relation directe entre employeurs et jeunes talents marquent une nouvelle vision de l’insertion.

Le Royaume parie aussi sur la reconnaissance légale des parcours non linéaires et sur la montée en puissance des partenariats public-privé. Il reste à traduire ces intentions en actions.

Par Nabil Ouzzane