Le Maroc accélère sur le gaz naturel


Le Royaume veut faire du gaz naturel l’un des piliers de son avenir énergétique. D’ici 2030, cette source devrait représenter 30 % du mix énergétique national. Pour y parvenir, le gouvernement marocain déploie une stratégie multisectorielle reposant sur des investissements lourds, des partenariats public-privé et un objectif clair : réduire la dépendance au charbon sans compromettre la sécurité énergétique du pays.
Face à l’impératif de décarbonation et à la pression internationale sur les énergies fossiles, le Maroc entame une profonde mutation de son modèle énergétique. Le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, dirigé par Leïla Benali, veut hisser la part du gaz naturel à 30 % du mix énergétique d’ici 2030.
Ce virage s’inscrit dans une dynamique plus globale de transition, visant à diversifier les sources d’énergie, améliorer l’indépendance énergétique et respecter les engagements climatiques du Royaume. Si les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique) restent prioritaires, le gaz naturel est appelé à jouer un rôle de «carburant de transition», plus propre que le charbon et plus souple pour compléter l’intermittence des énergies vertes.
Nador West Med, premier jalon d’une nouvelle ère gazière
Le 23 avril 2025, un tournant décisif a été franchi à l’occasion de la Conférence de l’énergie à Ouarzazate. Le gouvernement marocain a lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour identifier les partenaires privés qui participeront à la construction des premières infrastructures gazières nationales.
Au cœur de ce projet : un terminal GNL à Nador West Med, conçu pour accueillir une unité flottante de stockage et de regazéification (FSRU). Ce terminal, le premier du genre sur la façade méditerranéenne du Maroc, aura pour vocation d’assurer une partie de l’approvisionnement national en gaz naturel liquéfié.
Les capacités techniques, les coûts de réalisation et les délais de livraison de ce terminal n’ont pas encore été dévoilés. Mais le signal est clair : le Royaume s’apprête à bâtir ses propres infrastructures de regazéification, rompant ainsi sa dépendance aux installations espagnoles, utilisées jusqu’à présent pour traiter le GNL importé.
Une demande en hausse constante
Le Maroc a connu en 2024 une hausse notable de sa consommation de gaz naturel. Avec 886 millions de mètres cubes importés, contre 861 Mm³ en 2023, le pays a devancé la France pour devenir le premier importateur de gaz espagnol. Ce volume représente environ 9,7 GW, preuve de l’appétit croissant du pays pour cette énergie jugée plus propre et flexible.
Cette croissance est tirée par la hausse des besoins industriels, la modernisation du réseau électrique et l’objectif de réduire l’empreinte carbone des centrales thermiques. Pour accompagner cette dynamique, le Maroc veut construire une infrastructure robuste capable d’assurer un approvisionnement sécurisé, stable et compétitif.
Trois terminaux et un réseau de gazoducs pour relier les régions
Outre le terminal de Nador, deux autres plateformes FSRU sont prévues sur l’Atlantique : l’une à Mohammedia ou à Jorf Lasfar, et l’autre à Dakhla. Ces installations constitueront les points d’entrée majeurs pour le GNL importé. L’objectif est d’avoir une couverture nationale qui puisse alimenter les différents bassins de consommation, notamment les zones industrielles de Kénitra, Mohammedia, et les centrales de l’ONEE.
Pour relier ces terminaux, le gouvernement prévoit la construction d’un réseau de gazoducs nationaux. Selon les premières annonces, au moins quatre pipelines sont en projet. Deux d’entre eux serviront à démarrer les activités des gisements de Tendrara, dans la région de l’Oriental, et d’Anchois, situé au large de Larache. Un troisième pipeline sera connecté directement au Gazoduc Maghreb-Europe (GME) afin d’assurer l’interconnexion régionale. Enfin, un quatrième gazoduc est prévu pour relier, dans un premier temps, les bassins industriels de la côte Atlantique, notamment Kénitra et Mohammedia, avant de se prolonger vers le futur port de Dakhla.
À terme, ces tronçons pourraient également s’intégrer dans le futur Gazoduc Afrique Atlantique, un projet stratégique porté par le Maroc pour relier le Nigeria à l’Europe via l’Afrique de l’Ouest.
Une mobilisation interinstitutionnelle inédite
La réussite de ce chantier passe par une coordination étroite entre les différents acteurs publics. En mars 2024, un protocole d’accord stratégique a été signé entre quatre ministères (Intérieur, Finances, Équipement, Transition énergétique) et cinq institutions majeures : l’ONEE (Office National de l’Électricité et de l’Eau potable), l’ONHYM, l’Agence nationale des ports (ANP), la société Nador West Med et l’ADM (société des autoroutes du Maroc).
Ce partenariat vise à mettre en place un cadre de gouvernance efficace pour assurer la mise en œuvre accélérée du programme de développement des infrastructures gazières. Il intègre également des partenariats public-privé (PPP), avec une large ouverture au capital national et international, pour financer les investissements nécessaires.
Un système électrique encore dominé par le charbon
Malgré ces avancées, le système électrique marocain reste encore fortement dépendant du charbon. En 2024, près de 70 % de l’électricité produite provient de centrales à charbon, principalement la gigantesque centrale de Jorf Lasfar (2.016 MW), opérée par Taqa Morocco, et celle de Safi (1.386 MW), mise en service en 2018 par le consortium Engie/Nareva.
Ces infrastructures, bien que performantes, posent un problème de calendrier. En effet, les contrats d’achat d’électricité liant l’ONEE à ces exploitants s’étendent au-delà de 2040 — année butoir fixée par l’Alliance internationale Powering Past Coal, que le Maroc a rejointe lors de la COP28 à Dubaï.
Le contrat avec Taqa Morocco, par exemple, a été renouvelé en 2020 pour une durée de 24 ans, jusqu’en 2044. Quant à la centrale de Safi, elle fonctionne selon un schéma BOOT (Build-Own-Operate-Transfer), avec un contrat de 30 ans. Même si cette dernière est équipée d’un système de captage du carbone, elle reste alimentée au charbon.
Le dilemme du futur : gaz ou hydrogène vert ?
La question se pose désormais avec insistance : quelle source d’énergie viendra réellement remplacer le charbon à long terme ? Le gaz naturel, bien que fossile, apparaît aujourd’hui comme l’alternative la plus réaliste à court et moyen termes. Il permet une réduction immédiate des émissions de CO2 tout en assurant une stabilité du réseau.
Mais le véritable concurrent, à plus long terme, reste l’hydrogène vert. Non polluant et produit à partir de l’électrolyse de l’eau via de l’électricité renouvelable, il représente l’avenir d’une énergie 100 % décarbonée. Problème : son coût reste élevé, et sa filière industrielle est encore balbutiante au Maroc comme ailleurs.
Pour les experts, le gaz naturel est donc la meilleure option de transition, en attendant que l’hydrogène vert atteigne sa maturité technologique et économique.
Une transition énergétique sous contraintes mais résolue
Le Maroc avance à grands pas dans sa transition énergétique, en misant sur un mix plus équilibré entre renouvelables et gaz. L’objectif est double : assurer l’approvisionnement énergétique du pays tout en respectant ses engagements climatiques.
Mais cette transition reste semée d’embûches : contrats à long terme avec les exploitants de centrales à charbon, besoins massifs en investissements, dépendance aux importations de GNL. Elle exige des choix clairs, une volonté politique forte et une coordination renforcée entre les acteurs publics et privés.
Ce pari, le Royaume semble prêt à le relever.
