Panne géante en Espagne : ces trois leçons à tirer du black-out
Energie. Le débat sur la place des énergies renouvelables ne doit pas masquer des questions plus techniques qui pourraient expliquer la panne électrique géante.
Sébastien Julian de L’Express

Un passante promène son chien en s’éclairant avec son téléphone, le 28 avril 2025 à Vigo, dans le nord-ouest de l’Espagne, pendant une panne d’électricité géante
En France, le débat sur le blackout espagnol s’est vite transformé en procès des énergies renouvelables (EnR). Logique : au moment de la panne, 73 % de la puissance électrique provenait du photovoltaïque et de l’éolien alors que certains experts préconisent de ne pas dépasser 30 % afin de ne pas déstabiliser le réseau. Les EnR auraient-elles été poussées trop loin ? « En vérité, il n’y a pas de réponse simple et absolue à cette question », explique Philippe Girard, le dirigeant d’E-Pango, un fournisseur de gaz et d’électricité.
C’est d’ailleurs la première leçon de cet épisode de crise : ne cherchez pas le coupable idéal, il n’existe pas. La stabilité du réseau dépend dans chaque pays de nombreux critères : consommation d’énergie, moyens de stockage de l’électricité déployés, interconnexions avec les Etats voisins… « En Californie ou dans certaines parties de l’Australie, le seuil des 30 % d’EnR est largement franchi sans que cela pose de problèmes particuliers », rappelle Ondine Suavet, cofondatrice et de la société mylight150, qui installe des panneaux photovoltaïques. En France, le développement du solaire pose une difficulté car il oblige le parc nucléaire installé à fonctionner en dessous de ses capacités. L’ancienne patronne d’Areva Anne Lauvergeon n’est pas la seule à le dénoncer. « Pourquoi remplacer une énergie décarbonée (le nucléaire) par une autre (les EnR) ? Cela n’a pas de sens », commente Jacques Treiner, président du groupe d’experts du Shift Project. Sauf que la France reste un cas à part. Le blackout de la péninsule ibérique nous invite donc à élargir la liste des suspects.
Et si le système électrique était tout simplement bancal d’un point de vue technique ? C’est la deuxième leçon de cette séquence. Pas besoin d’invoquer le vent ou le soleil pour expliquer les malheurs de l’Espagne. « Cette fois-ci, le réseau semble s’être effondré de lui-même, ce qui en fait une panne unique en son genre », observe Damien Ernst, professeur à l’Université de Liège et auteur de plusieurs travaux sur la stabilité des réseaux électriques. L’expert pointe du doigt « l’électronique de puissance » qui relie les dispositifs d’énergies renouvelables au réseau : « Un problème d’oscillation – phénomène connu sur certaines lignes – a en quelque sorte trompé ces équipements. Il leur a fait croire qu’il y avait trop de production électrique alors que ce n’était pas le cas. Ce qui a entraîné la déconnexion d’une partie importante de la production d’énergie et conduit au blackout, par un effet domino ». Facteur aggravant : l’Espagne manquait alors de « machines synchrones », des installations dont le rôle consiste à veiller à la stabilité de la fréquence sur le réseau. Seuls 4 gigawatts fonctionnaient au moment de l’incident alors que la consommation électrique atteignait 25 gigawatts. Le problème risque-t-il de se reproduire ? Sans doute, si son origine est confirmée par le rapport technique à venir. « Au fil des ans, les machines synchrones deviennent moins nombreuses et à chaque fois qu’on ajoute une couche d’électronique, on risque de créer des difficultés imprévues. Parallèlement, les opérateurs semblent avoir délaissé l’étude physique des machines et du réseau au profit de l’étude des problématiques de marché », constate Damien Ernst.
Trop d’électricité ?
Dernière leçon de cet épisode malheureux, le stockage de l’électricité va devoir monter en puissance. Certes, de l’autre côté des Pyrénées, de nombreux investissements sont lancés. Ainsi, l’Espagne pourrait être dotée dans six ans de la plus grande station de pompage d’Europe. Ce système hydraulique, planté entre deux grands bassins, permettra d’absorber les surplus d’électricité ou d’en distribuer davantage quand le besoin s’en fera sentir. Mais en attendant, le pays manque de moyens de stockage. La France a le même problème. « On a très peu de capacité, confirme Mattias Vandenbulcke, directeur de la stratégie de France renouvelables. Si on se réfère aux travaux de RTE, il nous faudrait environ 6 à 8 gigawatt de capacité en 2035. Or dans la dernière version de la future programmation pluriannuelle de l’énergie, il y un peu plus d’hydraulique et rien sur les batteries ». Jean-Christophe Kerdelhué, le patron de NW, abonde : « en France, le stockage n’a pas été perçu jusqu’à présent comme un bon levier de flexibilité pour aider à la pénétration des énergies renouvelables, à l’électrification des usages, à mieux consommer et pas moins consommer ».
« Le pire serait désormais de considérer qu’on a trop d’électricité. Et que le verdissement des usages est une mauvaise idée », s’agace Mattias Vandenbulcke. Rappelons que 100 % de nos énergies fossiles (essence, pétrole, fioul, gaz) sont importées. Cela nous a couté 64 milliards d’euros l’année dernière. A l’inverse, la France peut exporter 5 milliards d’euros d’électricité en une année. Ne nous trompons pas de combat ».